Samedi 19 juillet 2014-21 ramadan 1435
Quelques photographies des festivités du 14 juillet circulent sur la Toile. Rached Ghannouchi, le gourou du parti islamiste Ennahda, y était, ainsi que son beau-fils, Rafik Abdessalem Bouchleka, qui a occupé le poste de « Sinistre des affaires étrangères », les affaires dans lesquelles il a trempé sont moins louches que crapuleuses, à l’instar de ce qu’on a appelé le « Sheratongate » et l’épisode du don chinois à la Tunisie versé dans le compte personnel du sinistre en question… Un nouveau Sakhr Materi, en somme, confondant les caisses de l’État et le grenier de la famille…
Une photo me semble toutefois choquante, moi qui n’aime pas l’exagération et l’afféterie avec lesquels cet adjectif est souvent employé : Abderrahim Zouari, l’une des figures de proue de l’ancien régime, à la réception du 14 juillet chez Son Excellence l’Ambassadeur de France, faisant la conversation au sinistre Bouchleka. L’ancien et le nouveau régimes face-à-face comme si de rien n’était, comme si rien n’avait changé, ou parce que tout se négocie et se monnaye, notamment les convictions politiques et religieuses. Accusé de « détournement de fonds publics et abus de pouvoir au cours de ses missions au sein du RCD », il a été emprisonné pendant plusieurs mois. Sa libération est des plus intrigantes, dans la mesure où les affaires dont il est soupçonné n’ont pas été tirées au clair et que l’on soupçonne un arrangement avec les islamistes. Son face-à-face avec Rafik Abdessalem Bouchelka, le gendre du gourou ,est le moins que l’on puisse dire une preuve accréditant ces hypothèses.
Démantèlement d’une cellule terroriste à Sidi Bouali, petit ville à 17 km au nord de Sousse. Selon les enquêteurs, les membres envisageaient un attentat contre l’hôtel Mövenpick à Sousse à l’occasion des festivités d’Aouessou et de la Fête de la République le 25 juillet. Il me semble bizarre que ces informations tombent si vite. Cela signifie — mais encore faut-il qu’il y ait un sens à quoi que ce soit qui se passe chez nous depuis que, quand même, nos soldats se font décimer avec autant de facilité — que tout est cousu de fil blanc : il est un curseur de la terreur, il est des gens, des caïds même derrière tout ce qui se passe, et tout cela est planifié. Beaucoup d’élus de la Constituante, de décideurs des partis au pouvoir et d’hommes de l’ombre sont derrière tout cela. On cherche à faire voter une loi contre le terrorisme et ça bloque. Je me demande s’il faut une loi pour la vie afin de lutter contre la mort. Je ne le pense pas et le temps nous montrera à toutes et à tous que le combat, le vrai, est plus simple que toutes ces manigances : certains noms, et on sait lesquels, doivent être convoqués, interrogés, accusés, jugés et condamnés. C’est aussi simple que cela : la Justice aujourd’hui entravée pour de fausses raisons, comme si les jugements qui ont eu lieu dans les années 80-90 relevaient de l’Inquisition ou de je ne sais quel autre forme de procès, alors que l’Islam politique et ses représentants ne sont pas, comme tout le prouve, éventail, alibi, excuse. Nous en avons assez vu en à peine trois ans pour nous en rendre compte. Il faut que cela cesse une fois pour toutes.
La mort d’un ami d’enfance, Amir Golli, au Mexique. J’ignorais qu’il travaillait si loin pour le compte d’une chaîne de câblage allemande très prisée chez nous et un peu partout dans le monde d’ailleurs. Amir, paix à son âme, est un ami d’enfance avec qui j’ai plusieurs points communs : les Scouts, le Croissant Rouge, la Gauche, la haine viscérale des fanatiques et l’Amour de la vie. Nous ne nous sommes pas vus longuement ces derniers temps, mais chaque retrouvaille, souvent par hasard dans un bistrot, était chaleureuse… C’est que tout nous unissait, notamment les bons souvenirs. Sa maman est toujours l’amie de ma maman, son papa le frérot du mien, et son oncle — le superbe Jamel — notre compagnon à tous les deux, vu qu’il nous a couvés un peu partout. C’est lui, le merveilleux Jamel que j’ai appelé pour présenter mes condoléances et en savoir davantage. Jamel me signifie que la mort d’Amir serait accidentelle et qu’elle resterait en litige. Je suis curieux de tout savoir, cela va de soi, mais je me préoccupe avant tout des délais de rapatriement du défunt. La Tunisie n’étant représentée auprès de l’État mexicain qu’à travers notre ambassade aux États-Unis, la procédure et le processus s’avéreront sûrement longs, pénibles et surtout impossibles pour la famille.
Feu Amir, je le pense, aurait été sensible à ce poème de Darwich. Je lui dédie ces vers en espérant pour tata Jalila (sa maman), ainsi que toute sa famille, qu’il reviendra incessamment sous peu au Pays, car comme on dit chez nous Une fois le sable refroidi, la douleur amoindrie.
Prépare-moi la terre, que je me repose
Car je t’aime jusqu’à l’épuisement
Ton matin est un fruit dédié aux chansons
Et ce soir est d’or
Nous nous appartenons lorsque l’ombre rejoint son ombre dans le marbre
Je ressemble à moi-même lorsque je me suspends
À un cou qui ne s’abandonne qu’aux étreintes des nuages
Tu es l’air se dénudant devant moi comme les larmes du raisin
L’origine de l’espèce des vagues quand elles s’agrippent au rivage
Et s’expatrient
Je t’aime, ô toi le commencement de mon âme, ô toi la fin
S’envolent les colombes
Se posent les colombes
Mon aimé et moi, deux voix en une seule lèvre
Moi, j’appartiens à mon aimé et mon aimé est à son étoile errante
Nous entrons dans le rêve mais il s’attarde pour se dérober à notre vue
Et quand mon aimé s’endort je me réveille pour protéger le rêve de ce qu’il voit
J’éloigne de lui les nuits qui ont passé avant notre rencontre
De mes propres mains je choisis nos jours
Comme il m’a choisi la rose de la table
Dors, ô mon aimé
Que la voix des murs monte à mes genoux
Dors, mon aimé
Que je descende en toi et sauve ton rêve d’une épine envieuse
Dors, mon aimé
Sur toi les tresses de ma chevelure. Sur toi la paix
Paix à toi, Amir, mon ami, mon frère — mon frère et ami.
Dimanche 20 juillet 2014-22 ramadan 1435
Journée à la plage. Une activité des plus actives sans beaucoup d’actions. Être là, à l’ombre de cette cabane et observer le monde, le mouvement des vagues, les faits et gestes des gens, les paroles, leurs échos notamment et tout ce magma en moi, tantôt violent, tantôt apaisé, souvent fertile et optimiste malgré les mauvaises nouvelles auxquelles nous avons droit à longueur de journée.
Je suis en train de relire L’Horizon est en feu. Cinq poètes russes du XXe siècle (Blok, Akhmatova, Mandelstam, Tsvetaieva, Brodsky), dans l’édition réalisée par Jean-Baptiste Para. Les poèmes choisis sont très beaux, mais la préface de Para est très pertinente, à l’instar de ces deux phrases qui l’ouvrent d’Ossip Mandelstam, phrases qui mutatis mutandis pourraient faire écho à la réalité tunisienne : « De quoi te plains-tu, il n’y a que chez nous que l’on respecte la poésie : on tue même pour elle. Ça n’existe nulle part ailleurs. »
Je ne me souviens pas avoir lu ces mots dans Le bruit du temps ou dans La quatrième prose, les deux seuls livres que je possède de Mandelstam. Je me demande d’ailleurs s’ils ne sont pas tirés de sa correspondance, mais ce que disait le poète juif et russe Mandelstam au début du siècle dernier fait plus que jamais sens dans le monde arabe et musulman aujourd’hui. Quoi de plus significatif par exemple que la condamnation au Qatar, pays qui non seulement respecte les Droits de l’Homme, mais surtout soutient les mouvements révolutionnaires dans les mondes arabe et islamique, d’un poète à quinze ans de prison ? Mohammed al-Ajami, dit Ibn al-Dhib, a d’abord été condamné à perpétuité puis à quinze ans de prison pour avoir loué « la révolution du jasmin », éloge à travers lequel il condamne par ricochet l’oligarchie princière qui règne sur son pays. N’eussent été les organisations internationales, Ibn al-Dhib, dont le nom de plume signifie « le fils du loup », aurait fini comme la bête du même nom dans le poème de Vigny…
*Photo : Ossip Mandelstam (wikicommons).
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