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Pétain et les Juifs: Zemmour relaxé


Pétain et les Juifs: Zemmour relaxé
Eric Zemmour. Photo: Hannah Assouline.

Poursuivi pour « contestation de crime contre l’humanité », Eric Zemmour a été relaxé hier par le tribunal de Paris. Lors d’un débat avec Bernard-Henri Lévy sur la chaîne CNews en 2019, il avait soutenu que Pétain avait «sauvé les juifs français». Retour sur une longue polémique historique.


Le polémiste le plus célèbre du pays, longtemps journaliste politique et auteur d’une Histoire de France au demi million de lecteurs est poursuivi depuis six ans pour avoir émis un avis… précisément au sujet de l’Histoire de la Seconde guerre mondiale. Nous ne sommes ni dans une pièce de Jarry ni dans une dystopie d’Orwell ou de Kafka, mais dans la patrie de Descartes, Voltaire et Zola, affichant la Liberté (de pensée et d’expression) au fronton de ses 35 000 mairies. Zemmour tient bon et rend coup pour coup, même si rester debout n’est pas chose aisée lorsqu’on est un patriote de confession juive, de surcroît féru d’histoire… et que l’on se trouve marqué au fer rouge du révisionnisme aggravé. Et ce, par un petit monde politico médiatique, satisfait d’avoir enfin trouvé un improbable angle d’attaque touchant à la partie intime de l’identité de sa cible.

Tout commence lorsque, invité en 2014 à discuter du Suicide français (son précédent best seller) dans feue O.N.P.C sur la première chaîne du service public, Zemmour se retrouve face à une chroniqueuse émue qui répète: « C’est Pétain qui a sauvé LES juifs… répondez moi?! » Coupé à chaque tentative de réponse, il finit par lâcher: « Pétain a sauvé DES juifs français, oui ». Ne tenant compte ni du les ni du des, la tempête médiatique s’abat aussitôt sur lui. Toutefois, une polémique chassant l’autre, sa nouvelle réputation de juif antisémite fait un peu plouf auprès de Français sans doute peu concernés par une bataille d’experts sur des événements pour le moins éloignés (à tous points de vue) de leurs préoccupations quotidiennes. Cinq ans plus tard, il a l’occasion de préciser et développer sa pensée dans une autre émission télévisée dont il est cette fois l’hôte et non pas l’invité. Opposé au très influent philosophe BHL, il ne faut lui pas longtemps pour passer de l’opprobre des origines à la 17e chambre du Tribunal correctionnel de Paris – lieu qu’il ne connaît que trop bien. Accusé de négationnisme, rien que ça… ou plus précisément,  de contestation de crime contre l’humanité, sur le fondement de l’art. 9 d’une célèbre loi « mémorielle » dite loi Gayssot. Une amende de dix mille euros – cent jours-amende à cent euros – est requise contre Zemmour par le Parquet. Le jugement tombe hier: les réquisitions ne sont pas suivies par le juge, les propos ayant – je cite les attendus – été prononcés « à brûle-pourpoint lors d’un débat sur la guerre en Syrie ». Le tribunal reconnaît toutefois, au nom du peuple français qui n’a rien demandé, que lesdits propos contiennent « la négation de la participation (de Pétain) à la politique d’extermination des juifs ». Pas très clair, tout ça. Zemmour est en tout cas relaxé. Le Parquet interjettera-t-il appel? L’une des parties civiles annonce en tout cas immédiatement qu’elle le fera… « le droit (n’ayant) pas été dit », selon son avocat. Le feuilleton judiciaire étant ainsi suspendu, clôturons ce récit conjoncturel pour en venir au fond du propos et à la condamnation morale unanime de Zemmour, y compris par le tribunal qui le relaxe!

Ce sur quoi Zemmour s’appuie

Avant les réquisitions, notre protagoniste avait précisé:  « Je tiens à répéter ce que j’ai dit (en octobre 2019 sur CNews), les chiffres parlent d’eux-mêmes : en France, 40% des Juifs étrangers (qui) ont été exterminés et 90% des Juifs français (qui) ont survécu ». Zemmour n’invente évidemment pas ces chiffres bien connus et inscrit au contraire ses pas dans ceux d’illustres historiens français spécialistes de la période. Tous juifs, si, comme dans les amphis de mai 68, besoin était de comprendre « d’où ils parlent ».

Robert Aron tout d’abord, Académicien et résistant après avoir été relâché du camp d’internement de Mérignac, auteur de la thèse discutée du bouclier et de l’épée mais surtout de la très volumineuse Histoire de Vichy (1954), dans laquelle il compile sur près de 800 pages une impressionnante quantité de témoignages et autres comptes-rendus des procès de Haute Cour. Léon Poliakof ensuite, cofondateur du Centre de documentation juive contemporain. Egalement résistant, naturalisé français après guerre, il est l’auteur du fameux Bréviaire de la haine dans la collection de Raymond Aron, première grande étude consacrée à la politique d’extermination menée par les nazis contre les Juifs. Publiée en 1951, elle est même préfacée par François Mauriac. Mieux encore peut-être, l’Américain d’origine autrichienne Raoul Hilberg, auteur de La destruction des Juifs d’Europe, référence internationale sur le génocide juif, publié en 1961, republié dans une seconde édition en 1985, et même en 1988 dans sa version française (qu’on ne vienne donc pas expliquer « qu’Hilberg n’était pas au courant des dernières donnes chiffrées », comme je l’ai entendu ça et là…) Enfin, last but not least, le rabbin Alain Michel, historien franco-israélien, ancien responsable du bureau francophone de l’École internationale pour l’enseignement de la Shoah au célébrissime mémorial Yad Vashem. Ce dernier soutient publiquement et régulièrement Zemmour dans ses chiffres et ses explications, comme l’auraient sans nul doute soutenu les trois chercheurs précités s’ils étaient encore de ce monde. Soutien logique d’ailleurs, puisque Zemmour cite Michel.

Zemmour propose ainsi une explication, leur explication, pas plus bête qu’une autre et peut-être pas plus improbable que celle de Paxton. Vichy aurait « échangé » les Juifs étrangers contre les Juifs Français. Le sérail  universitaro-politico-médiatique politiquement correct continue de prétendre depuis presqu’un demi-siècle avoir établi, une fois pour toutes, la vérité historique. Cette « vérité officielle» tient en une phrase: les courageux Français ont seuls protégé leurs juifs du régime antisémite de Vichy, lequel souhaitait les déporter. D’aucuns pourraient être surpris d’entendre prêter aux Français un tel philosémitisme quand on connaît la longue tradition nationale en la matière, de la rouelle médiévale à l’affaire Dreyfus, mais passons… Le juif Zemmour doit payer ses questionnements publics sur ce passé qui ne passe pas. « On » le sait, les Justes sont parvenus à limiter le pouvoir de nuisance de la dictature de Vichy – l’État Français- qui a activement collaboré avec l’Allemagne nazie dans la déportation. De surcroît en toute connaissance de cause du sort funeste qui attendait ces derniers à Pitchi Poï et ce, même si les preuves de la connaissance par Vichy dudit sort manquent au moins jusqu’en 1942. Qu’importent ces considérations complotistes. Qu’ils aient été ou non Français n’est pas pertinent et comme dit la chanson, celui qui rappellera ce distinguo sera éliminé. Comme souvent, la vérité n’est défendue que si elle coïncide avec les « valeurs » de l’époque. En l’occurrence Paxton. Puisque ce dernier est contredit, ce sont lesdites valeurs qui doivent l’emporter. Logique, puisqu’elles lui sont supérieures. Où donc, avec un tel raisonnement, se trouve l’honnêteté intellectuelle, l’honnêteté attendue de tout citoyen qui défend son pays?

Première source de surprise devant cette charge contre Zemmour: à aucun moment, ce dernier ne nie l’évidence. Oui, Vichy a choisi en 1940 la voie de la collaboration. Oui, le régime a une forte connotation antisémite depuis le début et nul n’a attendu Me Klarsfeld pour le savoir. Bien au contraire d’ailleurs, puisque la grande cible de Paxton, Robert Aron, publie dès 1954 le témoignage du ministre des Affaires Etrangères Baudoin, lequel explique que Pétain avait anticipé les exigences nazies dans le « premier statut des juifs » du 3 octobre 1940 – document célèbre contenant les vexations et autres interdictions professionnelles à l’encontre des juifs de France, nationaux ou non. « Le 1er octobre. Long Conseil des Ministres, de 17h à 19h45, où pendant deux heures est étudié le statut des Israélites. C’est le Maréchal qui se montre le plus sévère. Il insiste en particulier pour que la Justice et l’Enseignement ne contiennent aucun Juif (Histoire de Vichy, p. 210). Que l’ex-maréchal Pétain ait été ou non antisémite, qu’il ait durci le texte pour telle ou telle raison, qu’il ait été en position de le faire après une remise du pouvoir par la quasi unanimité des députés d’une Chambre issue du Front Populaire et l’assentiment des fameux « 40 millions de pétainistes » de 1940… n’y change rien. La France est coupable de crime, du moins si l’on se réfère à la rupture du président Chirac au Vel d’Hiv en 1995.

La rupture de 1995

En effet ce dernier rompt avec toute une tradition de réflexion sur le siège dépaysé de la France à Londres, Alger ou Dakar et fait fi de l’ordonnance de 1944 considérant le régime de Vichy illégal et considérant comme nuls et non avenus les textes constitutionnels édictés par les gouvernements Pétain puis Laval.

Pierre Laval, fusillé en 1944, est, avec le maréchal Pétain, la personnalité la plus importante du régime de Vichy et le principal maître d’œuvre de la politique de collaboration avec l’Allemagne nazie. photo: D.R.

Quid de la vérité historique dans ce fatras idéologique post chiraquien ? En effet, De Gaulle n’eut pas à proclamer la République, celle-ci n’ayant jamais, en droit, été dissoute. Ce n’était pas la France qui était responsable, mais un régime illégitime et rétrospectivement illégal. Quid de cette haute pensée symbolique, de De Gaulle à Mitterrand, ce dernier expliquant d’ailleurs sans hésiter de façon limpide: « L’État français, si j’ose dire, cela n’existe pas. Il y a la République […] Et la République à travers toute son histoire (a) constamment adopté une attitude totalement ouverte pour considérer que les droits des citoyens devaient être appliqués à toute personne reconnue comme citoyen et en particulier les Juifs français. Alors, ne lui demandez pas des comptes à cette République, elle a fait ce qu’elle devait » (14 juillet 1992).

Même si les faits sont têtus, il n’y a jamais de vérité historique éternelle  pour la raison que l’histoire est une science et non un dogme. Il y a cependant souvent une vérité officielle, d’ailleurs changeante au gré des idéologies dominantes. Les visions de l’Histoire, discipline paradoxalement bien vivante, se confrontent et parfois s’affrontent puisque les hommes sont multi-facettes et les situations complexes. Contrairement à ce que pensent les idéologues au pouvoir, il est donc bel et bon pour un pays de revisiter avec bienveillance et lucidité son histoire et ce, sans craindre l’intervention inévitable des faussaires, lesquels finissent par être démasqués. En patriote, en homme de raison, en chercheur, en juif, en honnête homme en somme, Zemmour repart toujours à la recherche de la vérité et livre ses conclusions provisoires, puisque l’historia grec signifie enquête et le hístōr… sagesse (et non illusion d’optique ou auto aveuglement). « J’admets que l’on puisse contester ce que je dis mais je ne vois pas en quoi ce que je dis conteste que des Juifs aient été exterminés par des Allemands », dit-il à la barre. Personne n’a apparemment souhaité tenir compte de cette remarque, pourtant frappée au coin du bon sens, et surtout de l’honnêteté et de l’humilité. Pourquoi?

Ayant trop de respect pour l’Histoire et n’étant que fils d’historien et non historien moi-même, je n’entrerai pas plus avant dans les mesures que Vichy aurait prises – ou non- pour protéger nos compatriotes juifs de la déportation dans les camps nazis. Je note simplement avec Zemmour que la France venait de subir l’une des plus humiliantes défaites militaires de son histoire face à l’un des régimes politiques les plus féroces que l’Europe put connaître. Je note également  que Marc Ferro, historien « paxtonien » et auteur d’une biographie de Pétain corrobore la thèse expliquée par Zemmour: « Pour sauver les juifs français, Laval choisit de sacrifier les juifs étrangers, ou apatrides. » Il ajoute que : « Laval fut intraitable envers les juifs étrangers, menaçant « d’aller les chercher même dans les églises s’il le fallait », mais très actif pour sauver les juifs français ». Il aurait même indiqué aux préfets : « Pour un juif étranger qui quitte le territoire national, c’est un juif français que l’on sauve». (Pétain, Hachette, 2009, p. 410).

Sans conclure, posons-nous la question suivante. Si le vainqueur de Verdun, encore auréolé de son prestige auprès des Allemands, n’avait négocié des conditions d’armistice exceptionnelles pour la France, que se serait-il passé? Un gouvernement général dirigé d’une main de fer par un Gauleiter comme en Pologne ou un gouvernement fantoche composé de nazis locaux comme en Norvège auraient-ils permis l’existence d’une ligne de démarcation, spécificité française actant de l’existence d’une zone dite libre? Car c’est bel et bien là, au sud de cette France humiliée par la partition, que les Juifs de France souhaitent se réfugier pour tenter d’échapper aux déportations nazies. Il suffit de relire l‘émouvant témoignage du Sac de billes pour s’en convaincre, Joffo qui poussera même son épopée adolescente jusqu’à Menton occupée par les fascistes italiens, où il se baignera en 1942 sans être inquiété. C’est là, dans cette moitié de France sous autorité française par seule autorisation du Führer (sans Allemands donc jusqu’en 1942) que des Français juifs ont pu survivre. Là qu’aucun port de l’infamante et dangereuse étoile jaune n’a été imposé et ce, quelle que soit la nationalité des intéressés. Zemmour invente-t-il lorsqu’il rappelle ces faits aisés à vérifier? Il est en effet difficile de comprendre comment 4 000 « Justes » Français et/ou la courageuse Eglise de France auraient à eux seuls sauvé presque l’intégralité de ces Français pourchassés par les nazis en raison de leur origine ethnique. Pour memo, les « Justes » étaient 7 000 en Pologne, pays martyr où presqu’aucun Juif ne survécut… Ils étaient pourtant tous Polonais.

Un procès politique?

Deuxième cause de surprise: les prestigieux historiens précités (Marc Ferro compris) n’ont jamais été violemment contestés – du moins jusqu’à Paxton. Le temps n’avait pourtant pas passé du temps de Poliakof ou Hilberg et les témoins étaient encore nombreux pour les accuser de faussaires. Aron termina même ses jours chez les Immortels, au fauteuil 32 de l’avocat résistant catholique de gauche Izard (lequel, ironie du sort, avait accepté de défendre l’écrivain collaborationniste Chardonne). Si l’on y réfléchit bien, Zemmour non plus n’avait pas été inquiété par la justice de son pays en 2014… Il ne disait pourtant pas autre chose dans Le suicide français, pour lequel il avait été sommé de se justifier devant les gardiens de la vérité (et de la morale) du service public audiovisuel.

Qu’importe le verdict de première instance aux attendus troubles. L’acharnement actuel contre Zemmour est inquiétant, à seize mois d’une élection à haut risque dans laquelle il pourrait – qui sait?- jouer un rôle. Prétexte pour décourager toute velléité de sa part, au milieu d’une cascade de procédures sur tout sujet lié à l’identité de la France? Le fait que la présidente de l’Union des étudiants juifs de France soit à l’initiative des poursuites, partie civile aux côtés des LICRA, SOS Racisme et MRAP pourrait en tout cas le laisser penser. Le fait qu’elle rappelle qu’il «n’y a pas lieu de différencier Juifs français et Juifs étrangers», prêtant en cela à Zemmour des propos qui n’étaient dans sa bouche qu’une tentative d’explication historique… me semble pour le moins éclairant quant au degré de malhonnêteté des attaques à venir. À supposer qu’il se décide à entrer dans l’arène, la violence du « Parti de l’Autre » – pour reprendre le mot de Finkielkraut- ne portera ni sur ses costards ni sur de dérisoires emplois fictifs. Nous changerons assurément de registre et surtout de braquet. Sur cet échiquier, Zemmour jouera avec les noirs, c’est-à-dire en défense, lorsque ses accusateurs auront gardé les blancs, jaloux détenteurs du fameux coup d’avance. Cette injustice doit aujourd’hui nous préoccuper, non pas pour partir battus mais pour nous inciter à fourbir de façon plus vigoureuse nos armes. S’il n’y a pas de vérité historique, l’heure de vérité n’est peut-être plus très loin.

Ce texte a été modifié le 8 février 2021 NDLR

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Créateur et intervieweur de la chaîne "Reconquête" sur YouTube, David Arveiller est ancien élève de Sciences-Po. Il est également titulaire d'un DEA en Sciences de l'information (paris II Panthéon-Assas)

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