Pessoa-Since I’ve been me, mise en scène par Robert Wilson au Théâtre de la Ville, est une production aussi esthétique qu’aimablement inutile…
Ce n’est pas Robert Wilson qui est allé à Fernando Pessoa. C’est Pessoa qui est allé à Wilson ! Et sans doute à l’instigation d’Emmanuel Demarcy-Mota, Portugais par sa mère, directeur du Théâtre de la Ville et du Festival d’Automne, et coproducteur de ce spectacle intitulé Pessoa-Since I’ve been me.
Mais comment Wilson, entouré, servi par ses lieutenants, a-t-il répondu à cette proposition aussi séduisante que périlleuse ?
En usant de son savoir-faire, de la magnificence de ses lumières, de la beauté de sa scénographie, de l’éclat de ses couleurs, en peaufinant des images impeccables. Bref, en déployant la panoplie d’une esthétique généralement irréprochable appliquée à tous les genres qu’il aborde, que ce soit de l’opéra ou du théâtre, avec la ferme constance d’une maison de luxe qui tient à sa réputation et à la bonne tenue de ses produits manufacturés.
Qu’a-t-on appris cependant sur Pessoa avec ce spectacle ? Rien ou pas grand-chose. Et ce n’est pas en lançant à la volée de multiples citations puisées dans les textes du poète et de ses doubles, ses « hétéronymes », et répétées à l’envi par les interprètes en portugais, en français, en anglais ou même en italien, qu’on en dit long sur le personnage ou sur l’auteur.
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Le premier tableau avec ses six levers de soleil successifs est assurément très beau. Et les six acteurs, danseurs ou chanteurs (Aline Belibi, Rodrigo Ferreira, Klaus Martini, Sofia Menci, Gianfranco Poddighe, Janaïna Suaudeau) incarnant sous les traits de Groucho Marx, d’une hétaïre de film d’avant-guerre ou d’un facétieux pantin les divers « moi » de l’écrivain, apparaissent dans la foulée comme dans une parade de foire ou sur une scène de Broadway. Ils entourent avec une folle énergie la frêle Maria de Medeiros grimée en Pessoa lui-même… dans un travestissement qui fait tout de même un peu fête de patronage.
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Et quoi ? Que reste-t-il de ce spectacle qui parvient à n’être qu’un aimable divertissement balançant entre la comédie musicale et la parade de cirque ? Rien ou presque. C’est le type-même de production parfaitement inutile, au fond illisible, ne faisant rien que de fournir du travail à des artistes de qualité et à faire quelque effet sur le programme de la saison d’un théâtre, avec les noms d’un poète aujourd’hui légendaire et de ce Bob Wilson qui révolutionna le monde théâtral au siècle dernier et tente aujourd’hui de survivre à sa gloire d’hier.
Pessoa-Since I’ve been me. Théâtre de la Ville. Jusqu’au 16 novembre 2024. https://www.theatredelaville-paris.com/
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