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Pessimisme optimal


Pessimisme optimal
photo : weblocataire
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L’info ne dort jamais, il paraît. Apparemment, elle ne prend pas de vacances non plus ! À peine réveillé du réveillon, vous voilà, comme tous les Français, consacré par voie de sondages « champion du monde du pessimisme ». Et pas un sondage, deux ! La Croix et Le Parisien ont en effet eu l’idée sadique d’envoyer l’IFOP et BVA cuisiner par clics des échantillons représentatifs des populations de plein de pays du monde en pleine période éminemment anxiogène de la fin de l’année. Et voilà le Français qui débute l’année 2011 en champion du monde de la loose.[access capability= »lire_inedits »]
Normalement, je me gausse de ce genre de statistique de l’état d’âme, ici mondialisée de surcroît, mais l’écho qu’a suscité la breaking news m’a sidéré et inquiété − du coup pour de bon.

Donc, la Chine et le Brésil, en tête des pays émergents, ont un moral d’acier − vu que c’est un peu leur tour de rigoler dans le manège de la croissance − mais les Afghans, les Irakiens et les Nigérians (sic !) auraient, eux aussi, plus la pêche que nous, sans parler de nos copains de la « vieille Europe » qui, à sort équivalent, garderaient plutôt le sourire. Après l’annonce de notre nouvelle médaille d’or 2010 dans une discipline que nous survolons impérialement depuis plusieurs années, la « conso d’antidépresseurs », c’est l’info de trop : l’édredon médiatique est salement secoué. Tous supports confondus et confondants, Internet compris, c’est la grande mobilisation générale de tous les arguments encore en âge et en état de servir pour contredire, contester, atténuer l’horreur de ce podium, avec convocation des experts en tenue de combat pour fournir un alibi à notre peuple honteusement montré du doigt.

La nature grincheuse du Français moyen

Sur les plateaux, les bataillons méthodos montent à l’assaut, de biais : « Nous avons le taux de natalité le plus élevé d’Europe, 2010 est un record de ventes de voitures, de places de ciné, de ventes d’écrans plats, les soldes cartonnent et les restos affichent complet le samedi soir ! C’est bidon, y’a un loup ! »
Les troupes d’élites nous servent dans la foulée une « nature grincheuse du Français moyen » qui fait long feu, avant de tirer l’analyse fatale du « sentiment de bonheur comme différentiel entre avant et maintenant ».

Je zappe, je navigue, je passe en revue des cohortes de chroniqueurs qui ont pour tâche quotidienne d’essorer jusqu’à l’os tous les arguments humainement concevables sur les sujets que l’actualité s’efforce de leur apporter, (Y’a pas que des causeurs d’élite !) à la recherche d’un décryptage à la hauteur de notre sombre sacre. Rien ! Pas même une journaliste en HD, magnifique échantillon de notre échantillon représentatif pour porter haut ce trophée et le faire embrasser par l’ensemble du plateau, invités, techniciens blasés et public playmobilisé compris. Que dalle sinon la honte, des explications contrites, au mieux une colère noyée dans des alibis de papier mâché.

Indigne aréopage de commentateurs, appointés ou non, de la bande passante, jetez seulement un coup d’œil sur le monde dont vous êtes les contemporains. N’y voit-on pas un capitalisme à court de ses bienfaits ne nous distillant plus que son venin − très conformément à la description trop visionnaire d’un certain Karl M. − ; des pays pauvres accédant, conformément à notre promesse, au confort de notre modèle − sauf qu’entre-temps on s’est rendu compte qu’il avait des vices cachés ; une dissuasion nucléaire déclinée en missiles faciles d’emploi auquel ont désormais accès des chefs d’Etat qui clament leur désir de s’en servir ; un vieux problème de copropriété dans un désert s’enkystant au point de littéralement diviser la planète en deux ; un pouvoir économique ayant visiblement pris la mesure du politique, au point qu’il ne reste à nos élus que l’écharpe d’apparat pour la photo de classe à Davos.

Bon, pas de quoi se flinguer non plus, une humanité exponentielle a dans le même temps exponentiellement amélioré ses conditions de vie : mais pardonnerez-moi de ne pas sauter de joie ! La crise alimentaire, la surpopulation, les variations climatiques et le retour des fondamentalismes en fond d’écran, et je ne suis pas loin de penser qu’une personne un tant soit peu en phase avec son temps est juste lucide en se déclarant très peu optimiste.
Moi, c’est plutôt à cette France-là que je pourrais être fier d’appartenir, celle à qui Cioran déclarait son attachement : « Je ne crois pas que je tiendrais tant aux Français s’ils ne s’étaient pas tant ennuyés au cours de leur histoire. Leur ennui est dépourvu d’infini. C’est l’ennui de la clarté. C’est la fatigue des choses comprises. »

Mais à l’écran, les cellules psychologiques viennent maintenant rappeler ces rabat-joie de Français au devoir civique de porter le masque guilleret de la méthode Coué.
Aux armes, citoyens enjoués ![/access]

Février 2011 · N°32

Article extrait du Magazine Causeur



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