Accueil Édition Abonné Décembre 2024 La perte d’influence de la France en Europe n’est pas une fatalité

La perte d’influence de la France en Europe n’est pas une fatalité

La crédibilité économique est la condition nécessaire de l’influence politique.


La perte d’influence de la France en Europe n’est pas une fatalité
Ursula von der Leyen et Thierry Breton, au siège de la Commission européenne à Bruxelles, 28 septembre 2022. La démission de ce dernier, en septembre 2024, illustre le recul stratégique de la France au sein de l’Union européenne © AP Photo/Virginia Mayo/SIPIA

La France est responsable de sa perte d’influence au sein de l’Union européenne. Vu depuis Paris, Bruxelles n’est qu’un lot de consolation pour politiques en mal de circonscription et nos députés brillent par leur absentéisme. Quant à nos fonctionnaires qualifiés, ils sont négligés, et ne sont donc pas promus.


Le constat est sévère. Pays fondateur, la France a perdu au fil du temps en influence et en prestige dans une Europe qu’elle a pourtant façonnée au départ. Selon la méthode Jean Monnet, l’Union européenne est en effet dotée d’une administration puissante « à la française » que paradoxalement les Français négligent d’investir. La situation a été fort bien décrite dans des rapports parlementaires, notamment celui de Jacques Floch en 2004 et celui de Christophe Caresche et Pierre Lequiller en 2016.

Pourtant, tout n’est pas perdu. La crise politique, morale et économique que nous vivons est l’occasion d’un sursaut. Et ce d’autant plus qu’à la tête du gouvernement vient d’être désigné, en la personne de Michel Barnier, un politique qui a fait ses preuves comme commissaire, parlementaire européen et négociateur du Brexit, et qui est pleinement reconnu par ses pairs européens.

La première cause de la perte de crédibilité de la France réside en effet, comme le souligne le rapport Caresche/Lequiller, dans ses «mauvaises performances économiques et budgétaires». En 2005, l’Allemagne et la France présentaient de mauvais indicateurs. Jacques Chirac, président français et Gerhard Schröder, chancelier allemand, avaient demandé conjointement un assouplissement du pacte de stabilité qui impose aux États membres de limiter leur déficit budgétaire à moins de 3 % et leur dette à moins de 60 % du PIB. Cet assouplissement n’ayant pas été obtenu, le chancelier allemand a pris le problème à bras-le-corps. Il a lancé l’Agenda 2010, un programme de réformes comportant des réductions d’impôts même pour les « riches », coupant dans le budget de la Sécurité sociale et limitant le versement des assurances chômage pour relancer le marché du travail. Le résultat fut le « miracle économique allemand » et le primat de l’influence allemande, tandis que la voix de la France incapable de se réformer en sortait affaiblie.

Le lot de consolation des politiques en mal de circonscription

La seconde raison du déclin de l’influence française, c’est que les Français n’ont pas su intégrer les institutions et l’administration européennes comme il le faut. Nos dirigeants ont tendance à croire que le poids de la France au Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, qui fixe les grandes orientations politiques de l’Europe, suffit. Mais l’Union européenne ne fonctionne pas sur le modèle français du top down. Pour gagner en influence dans ce milieu complexe de rivalités nationales que le projet européen vise à transcender, il faut travailler à l’intérieur de la machine. Cela vaut pour l’administration du Conseil et de la Commission comme au Parlement européen.

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Pendant trop longtemps, le mandat européen a été pour les Français le lot de consolation des politiques en mal de circonscription ou de portefeuille ministériel. Aussi, l’absentéisme de nos députés est-il vu comme notre marque de fabrique. Or les députés allemands l’ont compris : la légitimité d’un élu dépend de son travail effectif au sein des commissions. Elle dépend aussi de sa longévité au Parlement, qui seule lui permet de prétendre aux fonctions importantes de rapporteur d’un texte ou de coordinateur ; les coordinateurs désignés par les groupes politiques ayant un rôle clé notamment dans l’attribution des rapports à leurs collègues.

Le bilan à la Commission européenne n’est pas plus favorable. Les tensions avec l’Allemagne ne garantissent plus au commissaire français la maîtrise de ses compétences. Il en est ainsi de Stéphane Séjourné, nouvellement désigné « vice-président exécutif pour la Prospérité et de la Stratégie industrielle ». Quelle sera sa capacité d’influence alors qu’il co-supervisera avec la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, le commissaire en charge de la Sécurité économique et celui en charge de l’Économie et de la Productivité ? Et quelle sera la place de la France dans la composition des cabinets des commissaires alors qu’on sait déjà que sept d’entre eux au moins seront dirigés par des Allemands ?

Une fragilisation de notre représentation au sein de l’UE

Quant aux fonctionnaires français, ils sont en retrait. Certes, les postes de directeurs généraux à la Concurrence et au Budget sont occupés par des Français, mais les fonctions d’adjoint sont aussi fort importantes. Par ailleurs, la France a perdu la main sur le juridique, dont l’impact est déterminant sur toutes les politiques sectorielles. Il était implicitement entendu que les services juridiques du Conseil, de la Commission et du Parlement revenaient à des Français. Ce n’est plus le cas.  En outre, des candidatures de haut vol soutenues par le président de la République ont été rejetées. Et le gouvernement français a jusqu’ici négligé d’autres fonctions comme celles de médiateur, qui sont pourvues par le Parlement et n’en sont pas moins stratégiques. L’Union européenne, union de droit, se veut un modèle de méritocratie. Pourtant, la logique des grands corps de l’État en France envoie des fonctionnaires parfois peu familiers avec les réalités européennes alors que des Français hautement qualifiés en place au sein de l’Union mériteraient d’être promus. Malheureusement, ils sont souvent écartés par des candidatures françaises concurrentes, fragilisant ainsi notre représentation au sein de l’UE tandis que d’autres États, à l’instar de l’Allemagne, présentent une seule candidature et obtiennent la position.

Une stratégie d’influence dans l’Union européenne est bien pensée. Mais elle n’est pas véritablement déployée et ses résultats sont médiocres. Certes, les fonctionnaires européens sont indépendants. Ils œuvrent pour l’Union et non leur pays d’origine. Mais l’empreinte culturelle compte et elle est principalement allemande et britannique (les fonctionnaires britanniques sont restés en nombre dans l’administration européenne). Les fonctionnaires français, eux, sont de moins en moins nombreux et le français est devenu une langue de seconde zone.

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Il suffirait de peu de choses pour améliorer la situation. Le rattachement de Benjamin Haddad, ministre chargé de l’Europe, au Premier ministre et non seulement au ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, est de bon augure. Pour le reste, chacun sait ce qu’il faut faire.

La France doit être intransigeante sur l’usage du français et s’opposer fermement à sa disparition comme langue de travail (exemple regrettable de la Cour des comptes européenne). Face à la désaffection inquiétante des Français vis-à-vis de l’administration européenne, une priorité doit être accordée à la préparation aux concours européens. Il est aussi impératif que les partis politiques comprennent enfin la nécessité de valoriser le mandat de député européen et de l’inscrire dans la durée au lieu de se servir du Parlement européen comme d’un purgatoire.

Plus que tout, les parlementaires français devraient laisser le Premier ministre conduire, à l’instar de l’Agenda 2010 de Gerhard Schröder, son programme de réforme économique et sociale, et de rigueur financière. C’est la clé pour regagner une crédibilité économique, condition sine qua non de l’influence politique.     

*Avocate, ancienne ministre des Affaires européennes

Décembre 2024 - Causeur #129

Article extrait du Magazine Causeur




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