Il fallait à la fois un théoricien et un satiriste pour mesurer toute l’ampleur de l’impuissance du politique. Percy Kemp, fin connaisseur de l’islam, auteur de quelques excellents romans d’espionnage, a décidé de réécrire Le Prince de Machiavel. Le propos reste le même que dans l’original florentin : comment garder le pouvoir par tous les moyens, même légaux.
Mais sa thèse est que le Prince doit bien être conscient que ce pouvoir, à notre époque, n’existe plus.[access capability= »lire_inedits »] La mondialisation est passée par là, évoquée dans une métaphore footballistique des plus parlantes : « En réalité, un grand État-nation d’aujourd’hui n’est pas bien différent d’un grand club de football, le Liverpool FC par exemple, qui ne compte plus que deux joueurs nés à Liverpool et dont l’entraîneur et les propriétaires ne sont même pas anglais. […] En définitive, seuls les supporters qui viennent régulièrement, qu’il pleuve ou qu’il vente, remplir le stade d’Anfield, sont natifs de la ville. Mais ceux-là, on le sait, ne contrôlent ni les finances du club, ni la politique des transferts, ni les tactiques de jeu. Et de fait, comme aujourd’hui le Liverpool FC, l’État-nation sur lequel règne le Prince sans patrie ni frontières n’a plus de national que le nom. »
Conserver quelque chose qui n’existe plus est, de fait, encore plus compliqué que conserver quelque chose qui existe. Une seule solution : ne pas se trouver en position d’exercer le pouvoir et, par conséquent, se garder d’un ennemi diabolique, l’événement. Un événement est toujours une catastrophe pour un Prince impuissant. Mais selon Kemp, qui puise ses exemples dans les guerres de Cyrus comme dans l’élection présidentielle française de 2012, il existe quelques solutions pour s’en prémunir : le Renseignement, l’Escompte qui permet de « désamorcer la charge potentiellement explosive d’un événement » ou encore la Mystification. Il n’empêche, sa conclusion est sans appel : aujourd’hui, le Prince est nu et, comme le dit Tchekhov : « Un simple rhume suffit à lui faire perdre l’équilibre. »[/access]
Percy Kemp, Le Prince, Seuil, 2013.
*Photo : c-reel.com.
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