Le mardi 20 mars 2012, dans des établissements scolaires de banlieue, des élèves ont protesté contre la minute de silence à la mémoire des enfants et du professeur juifs assassinés par Mohamed Merah, et parfois même, comme ce fut le cas à Saint-Ouen (93), refusé de l’observer. « On ne fait pas de minute de silence pour les enfants de Palestine ! », a-t-on entendu à Saint-Denis comme à Bobigny, ou encore : « Il y a des enfants qui meurent partout dans le monde, comme par hasard, pour ceux-là on fait une minute de silence… », appréciations ponctuées de « Moi, j’aime pas les juifs »[access capability= »lire_inedits »]… Ces commentaires fleurissent aujourd’hui sur Twitter et autres réseaux sociaux. Certains élèves, incapables de prendre conscience de la portée de leurs paroles, ont été jusqu’à affirmer : « Ils étaient juifs, mais c’étaient quand même des enfants… », ce qui est assurément moins terrifiant que « On s’en fout, c’étaient des juifs ».
Ce sont des paroles d’adolescents de France, face à un drame inédit dont la violence, pensait-on, avait bouleversé tout le pays. Bien sûr, est-il besoin de l’écrire, il n’y a pas un assassin qui sommeille en chacun de ces jeunes : juste un antisémitisme si prégnant qu’il aveugle et fait perdre toute capacité d’empathie. Mais pour envisager des réponses cohérentes et coordonnées, il faudrait d’abord accepter de voir cette réalité ; or, les optimistes et les naïfs s’y refusent, préférant mettre ces mots terribles sur le compte de provocations sans lendemain ou y entendre l’expression d’un malaise social, quand ils ne décrètent pas que ce sont-là des élucubrations, surinterprétations et autres fantasmes d’idéologues – tant il est vrai que l’idéologue, c’est toujours l’autre.
En avril 2002, il y a dix ans exactement, Le Monde publiait la lettre d’un professeur d’histoire exerçant en banlieue, titrée « Antisémitisme à l’école ». En octobre de la même année, dans Les Territoires perdus de la République, ouvrage dirigé par Emmanuel Brenner, un collectif d’enseignants témoignait du développement inquiétant, dans les collèges et lycées de certaines banlieues françaises, de l’antisémitisme et, plus largement, d’une vision binaire du monde dans laquelle les harkis sont des traîtres, les homosexuels une aberration, le sexisme une évidence.
L’accueil du livre fut des plus glacials. Pour nombre de commentateurs, d’intellectuels et de journalistes, les situations décrites dans Les Territoires perdus étaient des cas isolés ou des épiphénomènes, voire le fruit des élucubrations tendancieuses de pessimistes ou de paranoïaques – qu’on ne qualifiait pas encore d’« islamophobes ».
Depuis, beaucoup se sont ingéniés à ne rien voir, à ne rien entendre – et, bien entendu, à ne rien dire. En dix ans, les signaux d’alarme n’ont pas manqué, du rapport Obin[1. « Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires », rapport au ministre de l’Éducation nationale présenté par Jean-Pierre Obin, juin 2004.] à celui du Haut Conseil à l’intégration sur la laïcité à l’école[2. « Les défis de l’intégration à l’école », Recommandations du Haut Conseil à l’intégration au Premier ministre relatives à l’expression religieuse dans les espaces publics de la République, 20 mars 2011.], en passant par de multiples témoignages d’enseignants et l’assassinat d’Ilan Halimi qui paya de sa vie le fait d’être juif.
En mars 2012, des jeunes hommes ont été froidement abattus parce qu’ils étaient des soldats français ; des enfants et un jeune professeur de 30 ans ont été tués à bout portant parce qu’ils étaient juifs. Que faut-il de plus à tous ceux qui s’obstinent à ignorer que certains jeunes Français, rejetant la République et ses valeurs, sont animés par un antisémitisme viscéral ? Combien de morts encore pour éveiller la conscience de ceux qui propagent le même discours lénifiant depuis dix ans ? Il y a dix ans, Mohamed Merah avait 13 ans ; il était élève au collège Ernest-Renan.[/access]
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