Donc, je résume : de quoi a-t-on entendu parler dans les journaux, sur les radios et à la télé pendant tout le week-end de la Pentecôte ?
Du soixante-dixième anniversaire du Débarquement ? Un peu, oui. On a su plein de choses utiles sur les tenues de la Reine d’Angleterre.
Du forfait du boulonnais Franck Ribéry pour le Mondial au Brésil ? Un peu aussi, comme quoi ce n’était pas plus mal, que ce joueur avait toujours eu mauvais esprit.
De la mort d’une écolière grecque de 12 ans parce que sa mère n’avait plus les moyens de payer les médicaments antiépileptiques dont sa fille avait besoin car il n’y a plus de sécu depuis la mise en place des politiques austéritaires qui martyrisent le pays ? Ah non, surtout pas ! Puisqu’on vous dit que la Grèce est en bonne santé, qu’elle emprunte à nouveau sur les marchés ! Que la BCE est trop sympa dans son genre puisqu’elle vient de baisser ses taux d’intérêts pour relancer l’économie et surtout les bénéfices des banques qui prêtent aux Etats.
De la manifestation de 3500 jeunes antifascistes à Paris, commémorant la mort de Clément Méric, jeune antifa assassiné par des petites frappes skins ? Ah non plus, vous n’y êtes pas. Qui voulez-vous que ça intéresse, ces histoires de jeunes qui se battent dans la rue ?
Non, non, ce qui a intéressé les médias, comme d’habitude serait-on tenté de dire, c’est Le Pen. Cette fois-ci, on a eu la version père et fille, façon Dupont et Dupond dans Tintin, mais en moins drôle et sans le chapeau melon et la moustache. Donc Le Pen père fait un dérapage. On les avait presque oubliés, les dérapages de Le Pen père. Vous vous rappelez, « Durafour crématoire », « Les chambres à gaz point de détails de l’Histoire. », « l’inégalité des races » ou encore « l’occupation allemande qui n’aurait pas été aussi inhumaine que ça ».
Ce coup-ci, le président d’honneur du parti qui nous pourrit la vie depuis plus de trente ans, parle d’une prochaine « fournée » à propos de tous ces Juifs et assimilés qui encombreraient la société du spectacle. Catastrophe au FN et au Rassemblement bleu marine, cette vitrine faussement souriante censée cacher les marchandises faisandées de l’arrière boutique… Voilà Marine Le Pen qui condamne la phrase de son père, parlant d’ une faute politique ». Et ses premiers lieutenants, Philippot en tête d’embrayer en dénonçant les propos du méchant vieillard. Des commentateurs politiques, qui ont dû prendre psychanalyse en option au brevet des collèges osent même la métaphore freudienne et disent que Marine Le Pen « a tué le père ».
Il y a juste un problème, si elle a tué le père, on rappellera qu’elle vit quand même toujours chez lui, dans l’immense propriété de Montretout. On rappellera qu’elle tient le parti de son unique volonté et surtout, surtout qu’elle cherche depuis les Européennes à faire un groupe avec les souverainistes britanniques qui eux ne veulent pas à cause de « l’ADN raciste et antisémite du FN ». Bref, le dérapage du père, si on regarde un peu plus loin que le bout du nez d’un chien de garde médiatique, en fait, il sert bien la fille.
En prenant ses distances, elle fait croire que vraiment, oui, elle a changé, que le FN a changé et que Jean-Marie Le Pen est comme ces vieux parents un peu gâteux qui sont atteints à table du syndrome de la Tourette et qu’on ramène en urgence dans la chambre pour ne plus entendre leur glossolalie. Mais cela n’empêche pas le feuilleton de continuer, pour la plus grande joie des grands et des petits. Et que je te supprime ton blog du site du parti et que je réponds en t’écrivant une lettre ouverte. Calculé ou pas, recouvrant de vraies divergences ou pas le conflit est tout de même remarquablement mis en scène et tout le monde attend le prochain épisode.
En même temps, pour qui veut discerner le vrai visage du FN, au delà de cette nouvelle version du roi Lear à la sauce Saint-Cloud, il suffit d’aller regarder les mesures qu’il prend effectivement dans ses mairies et en particulier à Béziers où Robert Ménard supprime l’accueil du matin au primaire pour les enfants de chômeurs.
Voilà une info plus intéressante qu’elle n’en a l’air et qui n’aura pas défrayé la chronique frontiste ni bouleversé les médias. C’est pourtant révélateur. Plutôt que de se complaire dans l’antifascisme de bac à sable, les journalistes indignés pourraient par exemple regarder qui a voté pour Ménard lors des dernières municipales. Et je vous fiche mon billet qu’une partie non négligeable des chômeurs a mis un bulletin Ménard dans l’urne.
Et là, s’il y avait encore assez de sens ou de volonté politique à gauche, plutôt que de faire un remake années 90 sur les « dérapages » de papa, ça vaudrait peut-être le coup d’aller les voir, ces chômeurs bitterrois, un par un, chez eux et leur dire: « Vous avez vu où il vous a mené votre vote protestataire ? Maintenant, vos mômes, vous allez vous les garder, bande de feignasses ! »
Mais il y a peu de chance que l’on exploite cette info pour ce qu’elle révèle. On préfère continuer à se complaire dans les analyses sur “la gauche sans le peuple ». Pourtant, là, c’est bien le FN qui est sans le peuple, et même contre. Il ne défend pas les pauvres, à Béziers. Il a juste capté leurs votes et après il leur fait la guerre. Sans pitié. Et tout le reste n’est que littérature.
*Photo : Alain ROBERT/APERCU/SIPA. 00684058_000055.
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