Dans la plupart des gouvernements, l’un des rôles clés du Ministre du Budget est de savoir où placer précisément les bornes de l’impôt, de manière à ce qu’il rapporte équitablement le plus possible tout en demeurant supportable. Or, actuellement, il y a panique à bord. Cela fait déjà un certain temps que ce gouvernement, sans véritable expérience du pouvoir, ni compétence économique, ne navigue plus à vue, mais à la corne de brume. Avec la sur-taxation partiellement avortée des plans et comptes d’épargne-logement (PEL et CEL), des plans d’épargne en actions (PEA) et de certaines assurances-vie, force est de constater que le « syndrome de Léonarda » sévit jusque dans notre fiscalité, tant cette majorité peine à décider et rechigne à trancher.
Constamment à la recherche de recettes de poche, parce que réfractaire à toute réforme structurelle, le Gouvernement avait constaté que les produits anciens de certains placements – PEL, CEL (subrepticement un temps rajoutés), PEA et assurances-vie étaient fiscalement rattachés à leur année d’origine. À ce titre, ils n’acquittaient les prélèvements sociaux qu’au taux en vigueur lors de leur année d’acquisition. Si l’on rappelle que la somme de ces prélèvements est passée en une quinzaine d’années de 3,90% en janvier 1997 à 15, 50 %, on mesure clairement l’importance des enjeux de la ressource estimée à quelque 600 millions d’euros par Bercy. Le projet proposait donc de substituer pour le calcul de l’impôt le taux actuel et unique de 15,50% aux taux historiques antérieurement applicables. Lors de la présentation du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, pas moins de trois ministres – Budget, Economie et bien sûr, Sécurité sociale – ont détaillé à loisir les avantages de la réforme: justice, simplification du calcul ramené à un seul taux, rééquilibrage et pérennisation (pas moins !) de notre système social. À l’Assemblée, la majorité socialiste vote comme un seul homme le mercredi 23 octobre la disposition précitée. Nullement rebutée, l’opposition fait immédiatement savoir par la voix du sénateur Pierre Charon qu’elle attaquera la réforme devant le Conseil constitutionnel, cependant qu’au fil des heures, une sourde rumeur croît dans les rangs socialistes, dont les parlementaires essuient auprès de leur électorat un vent de fronde qui confine à la tempête. Manifestement, ni à Matignon, ni à Bercy, ni rue de Ségur, personne n’avait rien vu venir, alors qu’on savait pourtant que l’onde de choc atteindrait plusieurs millions d’épargnants.
Commence alors, dans une sorte de Berezina, la phase peu glorieuse du revirement. Dès le vendredi 25 octobre – soit le surlendemain du vote – et tout penaud, le rapporteur suggère à ses collègues un réexamen de la mesure pour en exclure le PEL, le PEA et l’épargne salariale, porteurs d’une épargne populaire, électoralement trop sensible pour l’exposer à la prédation ordinaire. L’après-midi, le ministre du Budget se rend à Matignon pour faire le point, avant de pérorer fièrement à la sortie : « Il faut d’abord expliquer cette mesure. On ne va pas commencer par la retirer avant de l’avoir expliquée. Il y a une campagne orchestrée, politique, malsaine. On ne peut pas tomber dans tous les pièges qui nous sont tendus. » Il oublie simplement que sa majorité a déjà prouvé qu’elle était parfaitement capable de se prendre toute seule à ses propres pièges. Quoi qu’il en soit, ce poignant rappel montre à l’évidence le désarroi d’une formation aux abois. Dès le lendemain, Matignon emboîte le pas en déclarant, comme s’il découvrait le projet, que des améliorations sont possibles pour le PEL et même le CEL. Peu après, le Journal du Dimanche interroge le ministre du Budget qui déclare : « Nous avons donc décidé d’amender le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour sortir les PEL, les PEA et l’épargne salariale de la mesure pour épargner les patrimoines moyens et modestes » , avant de poursuivre, impayable et comme si l’erreur n’était pas dans son camp: » La droite veut semer la peur. Nous, nous voulons l’apaisement et la clarté ». Pour que nul n’en doute, le ministre des Finances en personne monte au créneau en plein dimanche pour corroborer les propos de son ministre délégué. On apprendra un peu plus tard que le retrait devra tout de même passer par un amendement au Sénat. Au vu de ce parcours chaotique, il faut reconnaître que l’opposition a quelque légitimité à stigmatiser l’inconséquence de la majorité. Si la réforme était réellement nécessaire à la survie de notre système social, comment la majorité peut-elle si facilement l’abandonner? Et pourquoi préserver la seule épargne-logement ou la seule épargne-actions, alors que pour de très nombreux Français, l’assurance-vie joue le rôle essentiel et vital d’un complément de retraite ? Au vu des défaillances du système par répartition, que nos gouvernants ont mené au bord de la faillite, ces bas de laine ne sont pas du luxe.
Cette histoire assez cocasse comporte bien sûr plusieurs enseignements. D’une part, les Français sont farouchement opposés à des rétroactivités de dix ans et plus qui vident de sens l’annualité des lois de finances en remplaçant l’Etat de droit par un Etat de proie à la fiscalité carnassière. Les manifestations des bonnets rouges de Bretagne rappellent à la majorité que l’impôt se justifie toujours par une adhésion citoyenne et qu’il ne peut en aucun cas peser ni comme une sanction, ni comme une vengeance, sur ceux qui créent, travaillent et entreprennent. Par la même occasion, on vient d’apprendre que la parole de l’Etat valait beaucoup moins que 600 millions d’euros. Dans ces conditions, on peut craindre le pire de la prochaine réforme de l’assurance-vie. En cette période préélectorale, faut-il rappeler à cette gauche déboussolée que c’est toujours en désespérant le centre qu’on fabrique les extrêmes ?
*Photo : SUPERSTOCK/SUPERSTOCK/SIPA. SUPERSTOCK45348295_000001.
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