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Trois auréoles germaniques

« Peintures germaniques », expositions à Colmar, Dijon et Besançon, jusqu'au 23 septembre


Trois auréoles germaniques
Entourage du Maître des Volets de Strahov, La Mise au Tombeau, v. 1520-1530. © Musée des Beaux-Arts de Dijon/François Jay

Colmar, Besançon et Dijon présentent trois expositions sœurs dédiées à la peinture germanique, période et région méconnues en France. Regard sur trois chefs-d’œuvre. 


« Peintures germaniques », c’est-à-dire produites entre 1370 et 1550 dans cet espace compris entre l’Allemagne et l’Autriche actuelles, la Suisse du Nord et l’Alsace, à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance, quand le Saint-Empire romain germanique existait encore. Cet art germanique est peu représenté en France puisqu’une campagne de recherche a identifié à peu près 500 tableaux sur tout le territoire, dispersés dans les plus grands musées et les plus humbles églises paroissiales.


Les trois expositions qui présentent cette moisson permettent d’apprécier cet art inventif, qui se libère peu à peu des canons du gothique international et réussit, entre retables publics (à la fonction et à l’usage intelligemment décrits) et tableaux de dévotion privée, à proposer aux fidèles catholiques – la grande majorité de tableaux présentés est religieuse – une vision originale et exaltée des évangiles et des vies des saints magnifiés par l’or généreux, la couleur omniprésente, les motifs somptueux, les costumes singuliers, les figures qui confinent à la caricature et les compositions savantes.

Sainte Ursule à Colmar

Ursule, princesse bretonne en pèlerinage, fut capturée par les Huns à Cologne et exécutée avec ses suivantes (qui n’étaient pas onze mille) puisqu’elle refusa d’épouser Uldin, fils de Balamber. On l’invoquait donc pour obtenir une bonne mort, un bon mariage et pour protéger des jeunes filles. Devant les remparts de la ville, on ramasse les corps des martyres, toutes auréolées. Les flèches, enfoncées jusqu’à l’empennage, les ont percées en pleine tête ou en plein cœur. Les vierges, toutes au visage pâle, serein et rond, jonchent le sol. Leurs auréoles d’or sont quasi matérielles : celle de la martyre la plus à droite projette son ombre sur le sol, toutes cachent ce qui est derrière elles, dissimulant les visages, s’étageant pour ne plus former, à gauche à mi-hauteur, qu’une série de vagues dorées stylisées, comme on en voit dans les enluminures. Plus loin, les superbes Sept dignitaires ecclésiastiques ne sont que six : le septième se résume à la pointe de sa mitre émergeant derrière l’auréole poinçonnée du personnage principal. Ce qui est fascinant, c’est l’apparition immédiate des auréoles, à peine le martyre consommé : dans le Retable de sainte Marguerite, les panneaux racontant l’histoire de la sainte ne dotent pas d’une auréole ceux de ses compagnons qui furent décapités avec elle. Mais au pied des remparts de Cologne, les Huns ont allumé une macabre féérie, onze mille lanternes luisant ensemble.

La récupération des corps des Onze Mille Vierges sur le champ de bataille, v. 1450. Fragment d’un retable.
© Musée de l’Œuvre Notre-Dame, Strasbourg.

La Vierge à Besançon

C’est une mise au tombeau tout en longueur : le tableau est la prédelle (partie basse) d’un retable. Le Christ, qui paraît moins mort que dolent, est couché sur un autel de pierre rose. Tous les personnages sont revêtus d’étoffes délicates, aux plis fluides, presque maniérés, aux tons acidulés, comme la manche moirée de Joseph d’Arimathie, à droite, qui alterne le jaune et le bleu. Les auréoles sont des disques parfaits qui se placent spontanément à l’arrière-plan des figures (saint Jean, de dos, n’est pas caché par son auréole) et tiennent à rester verticaux, sans se plier aux mouvements de leurs porteurs : la Vierge n’est pas centrée dans son auréole, qui est plus un écran accompagnant qu’un attribut solidement implanté sur la nuque. La Vierge, au visage et à l’auréole tout spécialement rayés par un iconoclaste (si les peintures germaniques sont rares, c’est qu’elles ont été très largement détruites par les protestants) : le restaurateur n’a pas voulu réparer l’outrage et les griffures un peu brunes, parallèles au corps du Christ, sont comme la trace du glaive de douleur que Syméon prophétisa à la Vierge.

Entourage du Maître des Volets de Strahov, La Mise au Tombeau, v. 1520-1530.
© Musée des Beaux-Arts de Dijon/François Jay

Sainte Catherine d’Alexandrie à Dijon

À Chambon-sur-Voueize, sainte Catherine d’Alexandrie, dans une robe pourpre aux plis fondus, décorée de brocards appliqués dorés (motifs métalliques rapportés sur la peinture), attend que le bourreau lui tranche sa tête déjà discrètement auréolée : elle a déjà été longuement torturée après avoir triomphé de cinquante docteurs païens (que l’empereur Maximin fait brûler, pour leur apprendre), son exemple a entrainé la conversion de l’impératrice (que l’empereur Maximin fait alors exécuter avant de proposer la place à sainte Catherine), elle a une fois de plus refusé d’épouser Maximin, c’en est assez. Le bourreau est une manière d’élégant jouvenceau, qui n’est pas affublé comme souvent de vêtements outrageusement à la mode et d’une figure caricaturale : non, il paraît normal, on dirait même un noble de la cour, un dégénéré sadique. La manière qu’il a de relever la tête de la sainte pour bien contempler ce qu’il va détruire est saisissante. Il sourit avec satisfaction, sans rictus, de pure joie mauvaise. Mais la sainte regarde déjà ailleurs, au-delà du bourreau, les anges qui dans le ciel doré lui font signe qu’ils l’attendent…

Atelier de Hans Pleydenwurff, La Décollation d’une Vierge, v. 1465. 
Abbatiale de Chambon-sur-Voueize © Région Nouvelle-Aquitaine.

Maîtres et merveilles (1370-1530), jusqu’au 23 septembre. Dijon, musée des Beaux-Arts.
Couleurs, gloire et beauté (1420-1540), jusqu’au 23 septembre. Colmar, musée Unterlinden.
Made in Germany (1500-1550), jusqu’au 23 septembre. Besançon, musée des beaux-arts et d’archéologie.



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