Accueil Culture « La course camarguaise, c’est une messe! »

« La course camarguaise, c’est une messe! »

Entretien avec le peintre Lilian Euzéby


« La course camarguaise, c’est une messe! »
Course camaraguaise, le Grau du roi (30), mars 2023 © Photo: Cathy Cohen-Solal

Pour le peintre Lilian Euzéby, cette course est un hommage aux « dieux sombres » que sont ces taureaux indomptables. Il puise son inspiration dans ce rite mêlant couleurs et émotions.



Causeur. Votre travail laisse une place importante à la figure du taureau. Qu’est ce qui, chez cet animal et dans le monde de la bouvine, inspire tant le peintre que vous êtes ?

Lilian Euzéby. Ce qui m’intéresse, c’est le sacré. La course camarguaise est liée aux fêtes votives des villages, encore aujourd’hui. Il y a quelque chose de religieux. Les grands-parents y amènent les petits-enfants. C’est une affaire de transmission. Les courses camarguaises se sont ensuite retrouvées dans les grandes arènes, mais sont toujours restées populaires. C’est la fête du peuple. Et puis, il y a le mystère. La plupart des courses camarguaises n’avaient pas lieu dans la Camargue, mais autour, dans des endroits ou ne vivaient pas les taureaux.

Lorsque j’étais enfant, dans mon village de Russan, à une heure et demie de la Camargue, nous attendions l’arrivée de ces animaux étranges avec émotion et impatience. Toute l’année nous attendions. C’était le seul moment où nous allions les voir, les admirer et les craindre. On nous apportait dans nos villages un petit morceau du mystère de cette Camargue sauvage qui résidait dans ces monstres mythologiques – peut-être échappés de Crète – au pelage sombre. Et puis la course camarguaise, c’est un rite, toujours le même. Les mêmes couleurs, les mêmes bruits, les mêmes odeurs. Le sable beige illuminé par le soleil, les ombrages des feuilles des platanes alentour qui se posent dessus. Barrière rouge. Taureau noir. Ce taureau qui, bien que différent à chaque fois, est au fond toujours le même. Le Taureau, sacré. Le taureau qui sort éternellement du toril et vient poser sa tache noire sur le sable beige sous un soleil de plomb. Lorsque je vois les raseteurs arriver sur la place, se changer, se vêtir de blanc pour aller officier, une émotion intense me submerge. C’est comme des prêtres. Et ces hommes sont des enfants du peuple ! Dans ma jeunesse c’était des maçons, des éboueurs… certains étaient de vraies idoles.

Pour aller voir des corridas espagnoles, où l’on tue le toro, il fallait aller dans les grandes villes comme Nîmes ou Arles. La course camarguaise, elle, se faisait dans les plus petits villages. C’est aussi cela qui en faisait une fête populaire dans les campagnes. Mais je le répète, il y avait avant tout le mystère de ces animaux indomptables sortis du fond des âges. Et puis l’événement furtif et miraculeux où l’homme touche le taureau, lié à l’événement de la fête. C’est le jour où l’on rompt le quotidien. Aujourd’hui encore, c’est cela que je dessine. Des dieux sombres. Des statues de dieux. Des mystères. Lorsqu’on lâche les taureaux dans les villages pour les abrivades, aujourd’hui encore, les gamins se battent pour courir à côté du taureau, pour le toucher et avoir un peu de son odeur dans la paume de la main. C’est charnel. Nous sommes attirés par lui. Et pour sacrer tout cela, la course camarguaise est la messe. Le taureau est le Dieu, le raseteur le prêtre. Voilà ce qui, dans cette course, me bouleverse et m’inspire. Le sacré avec le regard de l’enfant, éternellement.

Juin 2023 – Causeur #113

Article extrait du Magazine Causeur




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est comédien.

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