Peggy Sastre revient à travers trois études sur notre quotidien de confinés
[Avertissement : récence de la pandémie oblige, toutes les études détaillées dans ce numéro sont des articles en prépublication qui ne sont pas passés sous les fourches caudines de la validation par les pairs. Leurs conclusions doivent, encore plus que d’habitude, être considérées comme parcellaires et provisoires.]
Psychologies du confinement
Les dernières semaines l’ont amplement prouvé : nous ne sommes pas tous égaux quand il s’agit d’accepter la restriction de nos libertés à des fins sanitaires. Certains se plient sans broncher à l’âpre discipline du confinement, et d’autres se rebellent. Qu’est-ce qui motive une telle variabilité ? Pour tirer un premier portrait des dociles et des récalcitrants, Ingo Zettler, Christoph Schild, Lau Lilleholt et Robert Böhm, psychologues et experts en mégadonnées à l’université de Copenhague, ont eu recours à deux métriques psychologiques : le modèle HEXACO et le facteur D. Ce dernier, que l’on désigne aussi sous le sobriquet de « triade noire », rassemble les traits les plus moralement vilains du tempérament humain, à savoir le narcissisme, la psychopathie et le machiavélisme. Un individu riche en facteur D va généralement manifester une propension à maximiser son propre bien-être au détriment d’autrui, tout en déployant un arsenal de croyances permettant de justifier sa malveillance. Quant au premier modèle, petit frère du Big Five, il stipule que chaque personnalité est un cocktail de six dimensions – l’Honnêteté-humilité (H), l’Émotivité (E), l’eXtraversion (X), l’Agréabilité (A), la Conscienciosité (C) et l’Ouverture à l’expérience (O). Menée sur 409 femmes et 390 hommes âgés en moyenne de 48,69 ans, l’étude statue que plus les individus ont un score élevé d’honnêteté-humilité, plus ils ont tendance à rester sagement chez eux. À l’inverse, ceux ayant un gros facteur D sont les plus susceptibles d’être indifférents aux consignes, voire de se trouver tout un tas de très bonnes excuses pour les enfreindre. L’ensemble étant modulé par l’amour du risque, l’âge et le sexe – plus vous êtes vieux et plus vous êtes une femme, plus vous avez de chances de ne pas regimber.
Référence : tinyurl.com/ConfineraConfineraPas
Le bon message
En matière de respect des consignes, tout n’est pas qu’affaire de personnalité. La nature des messages semble aussi jouer un rôle. Sur un échantillon de 1 032 individus représentatifs de la population américaine, cinq psychologues de Yale et de l’université du Kent, dirigés par Molly J. Crockett, montrent que différentes chapelles morales n’ont pas la même efficacité quand il s’agit d’inciter à se laver les mains, à respecter les distances physiques, les quarantaines ou encore à diffuser les bons conseils auprès de ses congénères. En l’espèce, et par rapport à un message moralement neutre (« Nous devons tous respecter les consignes, même si c’est difficile »), ce sont les messages déontologiques qui marchent le mieux. Dans la droite ligne de Kant, ces derniers se focalisent sur les devoirs que tout un chacun est censé avoir envers ses proches et sa communauté. Exemple : « Nous devons tous respecter les consignes, même si c’est difficile, car c’est la bonne chose à faire. Il en va de votre devoir et de votre responsabilité de protéger vos familles, vos amis et vos concitoyens. C’EST VOTRE DEVOIR. » À l’inverse, les messages les moins suivis d’effet sont ceux qui découlent d’une morale utilitariste, axée sur les conséquences d’une action pour le plus grand nombre. Du genre : « Nous devons tous respecter les consignes, même si c’est difficile, parce que ces sacrifices ne sont rien en comparaison des conséquences bien plus graves pour tous si nous ne changeons rien à nos vies. PENSEZ AUX CONSÉQUENCES. » Pourquoi ? Probablement parce que les messages déontologiques sont moins désincarnés et abstraits que les utilitaristes, et excitent des ressorts tribaux. Le système de santé, tout le monde s’en fout. Mais pas de ses amis, ses parents et ses mamies.
Référence : tinyurl.com/KantTuDoisResterChezToi
Épidémie de bonnes manières
Avec un état d’urgence décrété le 4 mars, soit quatre jours avant le confinement italien, la Californie aura été l’une des premières régions occidentales à prendre des mesures drastiques pour lutter contre l’affolement de l’épidémie – distanciation physique, télétravail, interdiction des rassemblements privés et publics, fermeture des commerces non alimentaires, etc. Autant d’ordonnances qui chamboulent les habitudes d’une société jusque dans ses recoins les moins ragoûtants. En se fondant notamment sur des données rendues publiques chaque semaine par les autorités californiennes et remontant au 1er janvier 2017, les criminologues Gian Maria Campedelli, Alberto Aziani et Serena Favarin, de l’université du Sacré-Cœur de Milan, ont conçu deux modèles statistiques pour évaluer l’effet de la quarantaine sur la criminalité urbaine. Il en ressort que, du 4 au 16 mars 2020, la tendance générale à Los Angeles a été à la baisse, avec une réduction moyenne de 5,5 %. Comme on pouvait s’y attendre avec une bonne partie des commerces fermés, la chute la plus significative concerne les braquages (–23,5 %) et le vol à l’étalage (–14,5 %). De même, si les données sont insuffisantes pour dire quoi que ce soit des vols de voiture, les auteurs consignent une baisse de 9,35 % sur tous les autres biens (d’une valeur inférieure, égale ou supérieure à 950 dollars) et ce conformément à leurs hypothèses de départ – moins de brassage humain, c’est aussi moins de risques d’attirer la convoitise de ses congénères. Par contre, quel ne fut pas leur étonnement en analysant les données des violences domestiques ! Alors qu’ils s’attendaient à une nette augmentation des agressions dans les couples dysfonctionnels forcés à la cohabitation, ils observent l’effet inverse. La diminution est certes non significative, mais elle est réelle : 3,25 % en moyenne. Est-ce parce que les victimes ont aussi pratiqué la distanciation sociale avec les forces de l’ordre pour moins porter plainte ? Peut-être, peut-être pas. Rendez-vous à la fin de l’épidémie pour le savoir, avec des modèles que les scientifiques promettent de faire tourner toutes les deux semaines.
Référence : tinyurl.com/CrimesEtVirus