Docteur en philosophie des sciences, Peggy Sastre se situe à contre-courant de la doxa féministe. Quand les chiennes de garde imputent les inégalités entre les sexes à la méchanceté des hommes, Sastre les explique par des prédispositions biologiques. Sans pour autant les justifier. Entretien (2/2)
Retrouvez la première partie de l’entretien ici.
Causeur. Les féministes vous rétorqueront que nous ne sommes plus dans la savane et que ce rappel des origines ne vise qu’à valider les stéréotypes sociaux qui poussent les petites filles vers les poupées quand les petits garçons préfèrent les G.I. Joe ?
Peggy Sastre. Tout un discours féministe, et plus largement progressiste, de déconstruction des stéréotypes de genre prétend qu’ils sont faux parce que socialement construits. Or, les stéréotypes, engendrés par des structures et des processus biologiques, reposent sur un fond de vérité ! De nombreux chercheurs travaillent sur la véracité des stéréotypes, à l’instar de Lee Jussim qui démonte de surcroît leur caractère prédictif. L’idée féministe selon laquelle une petite fille jouant à la Barbie deviendra une connasse battue par son mari n’a aucun fondement. Il est probable que même sans contrainte sociale ou parentale, elle se portera plutôt vers la poupée que sur le fusil et le camion de pompiers. Pour autant, il ne s’agit pas de s’enfermer dans les stéréotypes. Ce sont des hypothèses probabilistes qui n’obligent nullement les individus à se reconnaître en eux. Beaucoup de femmes ne s’intéressent pas aux vêtements et il serait malvenu de les y contraindre. Mais quand hommes et femmes ont toute liberté de choix et d’action, ils semblent confirmer ces stéréotypes. C’est ce qu’on appelle le paradoxe norvégien : c’est dans les pays les plus libres au niveau de l’égalité sociale entre les sexes que le fossé comportemental entre hommes et femmes est le plus important.
Dans ce cas, pourquoi n’acceptez-vous pas complètement la séparation des tâches entre les sexes ?
Parce que cela contraint la variabilité individuelle et aussi tout simplement parce que notre environnement a changé. Le partage des tâches entre deux pôles bien définis était adapté à des sociétés archaïques où l’on mourait à 30 ans. Or, depuis quelques siècles, avec les progrès de la science, notre environnement a énormément changé. Logiquement, les femmes ont de moins en moins besoin de protection et de dépendance par rapport à un homme. Tous les comportements qui découlaient de cette dépendance perdent donc en pertinence.
Vous semblez nuancer votre système de pensée. De notre vieux passé génétique, fera-t-on bientôt table rase ?
N’allons pas plus vite que la musique. Même si l’individu contemporain s’émancipe des grandes structures collectives que sont les religions ou la famille, même si notre liberté individuelle s’épanouit à mesure que notre environnement permet l’individualisme, les processus biologiques traditionnels restent prégnants, voire moteurs. Par exemple, dans les cas de violence conjugale, le différentiel économique entre la femme et l’homme est encore l’un des facteurs les plus prédictifs. Quand une femme dépend économiquement de son mec, elle court plus de risques de se faire frapper.
La violence serait-elle consubstantielle au mâle ?
Dans des environnements ancestraux, évidemment. Mais à notre époque où les femmes accèdent de plus en plus aux postes de pouvoir, elles adoptent des comportements violents similaires à ceux des hommes. Autrefois, un environnement moins favorable aux carrières féminines les incitait à développer des stratégies de compétition larvées comme la diffusion de ragots pour éviter les risques de représailles. Désormais, elles se battent bien plus ouvertement.
Pourtant, le cliché veut que les femmes soient plus empathiques et bienveillantes que les hommes dans la vie professionnelle ou en politique…
C’est une idée assez fausse. Quand des femmes arrivent au pouvoir, on observe plutôt le syndrome reine des abeilles : elles veulent exclure d’autres femmes, si nécessaire violemment.
En réalité, nombre de féministes, sous prétexte de traquer les comportements genrés, veulent en finir avec la différence des sexes. L’évolution pourrait-elle leur faire ce cadeau et mettre fin à un partage biologique des rôles devenu inutile dans notre environnement ?
Avec l’évolution, par principe, tout est possible. Mais si c’était le cas, on verrait les femmes devenir des hommes comme les autres, pas l’inverse.
Dans ces conditions, aura-t-on dans un siècle une population carcérale plus égalitaire ?
La population carcérale féminine augmente déjà depuis cinquante ans. Récemment, le phénomène des femmes djihadistes a été très mal compris. Dans un premier temps, on a pensé qu’elles agissaient sous l’autorité ou la contrainte de leur mari. Cela rappelle l’argument fallacieux utilisé par la République contre le droit de vote des femmes : « Elles vont voter comme leur mari ! » En fait, les femmes de l’État islamique portent souvent la culotte et les hommes sont bien davantage leurs pions que l’inverse.
À propos de chipies, vous citez fréquemment Valérie Trierweiler et à son sujet, vous accusez un certain féminisme victimaire de fragiliser les femmes en les poussant à choisir le mauvais conjoint. Pourquoi ?
Je reprends une hypothèse scientifique dite « hypothèse du garde du corps » selon laquelle les femmes ont tendance à se choisir un conjoint fort, puissant et dominateur parce que, du point de vue de l’évolution, mieux vaut avoir un partenaire capable de vous protéger des attaques extérieures. Mais c’est à double tranchant, car une femme assassinée a 50% de chances d’avoir été tuée par son propre conjoint. Bref, un partenaire fort pourra retourner sa violence contre vous-même.
Les féministes incitent plutôt à choisir un conjoint faible, compréhensif, voire… féministe !
Eh bien, l’inconscient des femmes leur dit autre chose. Beaucoup de femmes me disent : « Ah, moi je ne pourrais pas me mettre en couple avec une chiffe molle ! » Il y a quelques années, alors que la mode était soi-disant aux métrosexuels, la majorité des femmes que je connaissais rejetait l’idée même d’un mec qui se maquillerait. C’était une réaction très instinctive. On peut rationaliser ce rejet : l’homme qui met du mascara est perçu comme faible.
Le plus amusant, c’est que des féministes farouches peuvent tenir ce genre de discours en privé. Au fond, quel projet de vie défend le néoféminisme ?
Le néoféminisme me fait penser aux processus d’inertie qu’observe Robert Muchembled dans son Histoire de la violence. Quand la violence baisse, nous aurions du mal à nous y habituer et nous chercherions à compenser par des formes symboliques et cathartiques. C’est ce qui s’est passé en Occident. Malgré les crises, nos sociétés sont en effet de plus en plus pacifiées et prospères. Les femmes ont beau ne plus avoir grand-chose à conquérir, une espèce d’inconscient archaïque nous dit que la vie est terrible, que des jeunes filles se font tuer à chaque coin de rue, etc. C’est une manière de chercher des raisons d’être mal. De jouer en quelque sorte à se faire peur.
Mais lorsque certaines féministes s’indignent en disant que l’insulte est une violence et que le mot « chienne » mord, elles se fourrent le doigt dans l’œil. Au niveau de l’avancée civilisationnelle, mieux vaut traiter quelqu’un de « gros connard » que de lui planter un couteau dans le bide.
Avons-nous atteint le sommet du progrès en termes d’égalité hommes/femmes ?
Du point de vue que je défends, l’égalité en droit, les femmes ont globalement gagné en France : il n’y a aucune différence de droit entre les individus, quel que soit leur sexe.
En conséquence, faut-il abandonner le mot féminisme ?
À voir comment il ne cesse de dégoûter des gens qui pourtant l’appliquent, peut-être qu’il n’est effectivement plus adapté. Est-ce qu’il ne faudrait surtout pas mieux le définir et, pour cela, sans doute revenir à sa définition très classique – le féminisme est l’idéologie favorisant et valorisant l’égalité en droits des hommes et des femmes ? Une égalité qui n’est pas synonyme d’identité et d’indifférenciation.
Une autre tendance actuelle du néoféminisme consiste à transformer le viol – un crime odieux – en sorte de crime ultime. Cette souffrance des souffrances déclencherait un traumatisme imprescriptible dont une femme normale ne devrait jamais se remettre.
C’est vrai. Violée à 13 ans par Roman Polanski, Samantha Geimer, qui a signé notre tribune puis publié un second texte dans Le Monde, a très bien décortiqué cette injonction à la souffrance. Effectivement, le viol est aujourd’hui le seul crime dont on attend de la victime qu’elle ne s’en sorte jamais. L’idée sous-jacente est qu’une agression contre le sexe des femmes constitue une atteinte exceptionnelle. Pour ma part, si je réprouve évidemment les viols, je considère que leurs victimes peuvent garder la force de dire : « En fin de compte, ça ne m’a rien fait. » Certains violeurs psychopathes n’expriment pas seulement un désir sexuel, mais aussi un désir de destruction et de domination totale sur leur victime. Leur faire ce genre de pied-de-nez est une façon de reprendre la main.
Cette forme nouvelle de sacralisation du corps féminin paraît incohérente quand on soutient la FIV, la PMA et la GPA.
Sans doute, alors qu’on peut acheter un enfant à l’étranger par GPA, prétendre en même temps que mettre une main sur le genou est le dernier des affronts est peu cohérent. Mais je crains que la cohérence, voire la plus évidente des logiques, soit le cadet des soucis de bien des féministes contemporaines.
Vous êtes en revanche fort conséquente. Libérale intégrale, vous soutenez la GPA et même le projet d’un utérus artificiel tant vous semblez rejeter les fonctions biologiques de la femme. Pourquoi nourrissez-vous tant de haine envers votre utérus ?
À tout prendre, ce n’est pas tant de la haine que de la rancœur que j’éprouve, mais je n’impose pas mon ressenti personnel. Certes, quand j’étais enceinte, j’avais l’impression atroce d’avoir été trahie par mon corps, d’avoir un alien en moi. Inversement, d’autres femmes n’ont jamais été aussi heureuses que pendant leur grossesse. Grand bien leur fasse ! Partisane de la liberté, je n’entends imposer aucun choix. Je cherche simplement à élargir le champ des possibles. À l’avenir, la gestation artificielle pourrait éviter aux femmes qui le souhaitent de devoir porter leur enfant.
Vous allez un peu plus loin que la liberté de choix en écrivant : « Le mariage est un cercueil dont les enfants sont les clous » !
C’est le titre-blague d’un de mes chapitres. J’y montre que les enfants sont l’un des premiers facteurs de dissolution du couple parce que leur irruption correspond au moment où la différence comportementale entre hommes et femmes se creuse. Naissent alors très souvent des conflits que les couples sans enfants ne connaissent pas. Et ceux qui n’arrivent pas à résoudre ces conflits se séparent ou divorcent.
Pour ne pas désespérer nos lectrices, pouvez-vous nous affirmer que la passion amoureuse et ses dévastations ne vont pas disparaître ?
Je ne crois pas à la disparition de l’amour, mais il n’est pas impossible que ses formes les plus toxiques s’atténuent. À l’avenir, on pourra sûrement guérir d’un chagrin d’amour en ingérant des médicaments adaptés.