Si j’avais aimé les femmes, j’aurais aimé Françoise Sagan et Peggy Roche en même temps. À elles deux, la romancière à grande vitesse et la papesse fatale de la mode forment le couple parfait, noir et blanc, feu et glace, passion et tendresse, femme fatale et petit monstre.
« Sortir du cadre »
Tenter une biographie de l’un des revers de Sagan, Peggy Roche, est une belle chose. Il n’existait presque rien sur celle qu’avait photographié à quarante ans passés Helmut Newton et à qui les amis de Sagan demandaient de sortir du cadre quand les paparazzi dégainaient.
« Sortir du cadre » est une expression qui convient à Peggy, Marie-Ève Lacasse le relève avec justesse. Une petite fille sans père, avec un nom à consonance juive, une destinée abimée à la racine par la guerre, une mère lointaine, et enfin, l’attrait de la grande ville, la fièvre de Saint-Germain-des-Prés, les amours libres, son coup de foudre pour Françoise, sa vie au chevet de Françoise : tout défile avec la légèreté et l’allégresse amère qui sied à ce roman national. Tout y est, ponctué de « clac » sonores qui miment les décharges des appareils photos.
La mode, le don de Peggy pour l’élégance et l’arrogance, sont cousus avec des mots sur-mesure. La construction en forme d’album de souvenirs en désordre est aussi séduisante. Les faits se rattachent les uns aux autres par d’autres liens que ceux de la chronologie, par la temporalité capricieuse de l’amour. Mais que gagne-t-on, précisément, à feuilleter encore cet album ?
Une biographie éclatée
S’il ne reste pas grand-chose de Peggy Roche, c’est un dommage immense que cette biographie éclatée ne répare pas. Nous n’apprenons que ce que Peggy ne savait pas de Sagan, et que tout le monde sait. Sagan était une incurable. Sagan mangeait de la bouillie, Sagan se piquait, Sagan portait des chandails rouges, Sagan aimait les femmes, la vitesse, les triangles amoureux, la fête, et Bernard Frank.
Le style veut épouser son sujet, il l’épouse, l’embrasse, l’entoure d’une familiarité que les héroïnes auraient récusée. Les phrases sans verbe, les impressions fugitives, que l’auteur n’essaie pas de creuser – d’écrire, finalement – ne forment qu’un montage tremblotant où tous les lieux communs du genre passent dire bonjour. C’est une série de reportages journalistiques déguisés en littérature. Après la fin, dont on ne peut nier qu’elle est réussie, dans une précise et émouvante évocation de la mort de Peggy et du procès de Françoise pour trafic de stupéfiants, le post-scriptum de la biographe porte le coup de grâce. Évidemment, elle a fait à l’occasion de l’écriture du livre des rencontres formidables. Bien sûr, certains n’étaient pas ravis à l’idée que l’on fouille dans le passé.
Il reste de ce Peggy dans les phares une impression mitigée, entre agacement et regret. Toute cette histoire est une belle histoire, peut-être mérite-t-elle qu’on ne prétende pas en connaître le fin mot avant d’en commencer le récit. Il est dans l’air du temps de ne plus considérer Sagan comme une romancière futile. Peggy Roche, la grande dame drapée dans la fumée de ses cigarettes, aurait sans doute apprécié elle aussi davantage de gravité dans l’insolence.
Seuls, les inconditionnels de Sagan y trouveront leur compte, car on aime toujours Sagan avec une folie aveugle qui fait tout pardonner.
Marie-Ève Lacasse, Peggy dans les phares – Flammarion, 240 pages.
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