Il manquait une rubrique scientifique à Causeur. Peggy Sastre comble enfin cette lacune. A vous les labos!
Nous sommes en 2035. Les progrès en intelligence artificielle et en robotique ont été si rapides qu’il est désormais possible de se procurer deux types de machines, les robots sexuels et les robots d’amour, tous déclinables en version masculine et féminine. Les premiers, les robots sexuels, ont une apparence humaine des plus sophistiquées. En plus d’une telle prouesse sensorielle, l’intelligence artificielle leur permet de s’adapter parfaitement aux désirs et préférences de leurs propriétaires au gré de leurs interactions. Les enquêtes commerciales sont formelles : les clients sont extrêmement satisfaits de leurs robots sexuels, même si leur conception leur interdit d’offrir la moindre gratification affective à leurs maîtres et maîtresses. Pour cela, il y a les robots d’amour, capables de comprendre les pensées de leurs propriétaires avec une finesse à nulle autre pareille et de tenir des conversations apaisant l’âme comme personne. Parce qu’ils n’ont aucun début de commencement de forme humaine – ce ne sont, après tout, que des enceintes connectées améliorées –, il est impossible d’en espérer le moindre chouia de lubricité. Pour cela, il y a les robots sexuels…
Une étude qui met en évidence les différences entre hommes et femmes
C’est sur un tel scénario croisé que des chercheurs norvégiens dirigés par Mads Nordmo Arnestad, maître de conférences à la Norwegian Business School de Bergen, ont conçu une étude pour savoir si hommes et femmes regardaient d’un même œil ces automates à peine fictifs et selon quelles lignes de faille. Cinq hypothèses orientent leur expérience, menée sur 163 femmes et 114 hommes âgés de 17 à 70 ans et en grande majorité recrutés sur les réseaux sociaux.
La première, c’est que l’attitude des hommes face aux robots sera généralement plus positive que celle des femmes, notamment parce que les hommes sont, en tendance, davantage portés sur les nouvelles technologies, avec des femmes se faisant plutôt motrices et vectrices de la massification des usages. L’exemple classique est celui du téléphone. À l’origine conçu par et pour des hommes afin de leur simplifier une vie professionnelle à laquelle les femmes n’avaient pas à l’époque accès, ce sont elles qui allaient lui trouver de grosses qualités d’enrichissement de la vie sociale et, dès lors, transformer le gadget en essentiel de la vie quotidienne.
Des différences à l’image d’une relation purement humaine
L’existence de différences genrées assez marquées en matière de « styles sociaux » est ce qui permet aux chercheurs de poser leur seconde hypothèse : que les hommes préféreront les robots sexuels aux robots affectifs et vice versa du côté des femmes. De fait, une palanquée de travaux montre que les hommes sont aussi plus statistiquement portés sur le sexuel et que les femmes le sont sur l’émotionnel. Même en prenant en compte le fait que les femmes sont plus susceptibles de mentir que les hommes lorsqu’on les interroge sur leur sexualité (car elles risquent plus gros à dire la vérité), les hommes continuent à se masturber davantage, à être les premiers consommateurs de pornographie et à avoir plus souvent recours à la prostitution que leurs congénères féminines. Ensuite, les femmes ont des relations interpersonnelles en tendance plus complexes et profondes (que cela les comble de joie ou de malheur) et, comme le veut le cliché (qui n’est pas un cliché pour rien), les hommes ont moins de mal à distinguer sexe et sentiments. D’autant plus, ce qui n’étonnera là pas non plus grand monde, que la quantité est à leurs yeux (et à leur inconscient adaptatif) un critère supérieur à la qualité lorsqu’il s’agit de se trouver des partenaires.
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D’ailleurs, lorsqu’il y a cadre conjugal, comment les humains appréhendent-ils l’irruption des robots ? C’est sur ces questions que portent les hypothèses suivantes. La troisième prédit que les hommes seront plus jaloux du robot de leur femme si elle s’en choisit un sexuel, quand les femmes auront davantage de mal à avaler que leur conjoint fasse joujou avec un robot platonique. En annexe, la quatrième estime que les hommes seront plus inquiets si leur femme envisage de s’offrir un robot sexuel, quand les femmes flipperont plus sec si leur mari ou faisant fonction s’adjoint les services d’une meilleure amie de silicium. Et comme une synthèse du tout, la cinquième et ultime hypothèse augure que les participants s’attendront à ce que leur chère et tendre l’ait plus mauvaise si jamais ils en viennent à se payer un robot platonique, quand les participantes présageront que le robot sexuel fera en priorité se fâcher tout rouge leur moitié d’orange.
Les failles de l’étude
L’étude n’est pas sans défauts. Le plus gros, c’est que l’échantillon pourrait souffrir d’un sale biais d’autosélection. De par sa méthode de recrutement – des posts sur les réseaux sociaux –, il ne faut pas être grand clerc pour se dire que les gens à avoir répondu à l’appel étaient plus technophiles que la moyenne – ou, à tout le moins, moins rebutés à l’idée d’un compagnon robotique. Le second est plus platement démographique : si la classe d’âge représentée est relativement large, la grosse majorité des cobayes (près de 70%) sont des étudiants. Ce qui limite d’autant plus la généralisation des résultats et jette un bel angle mort sur tout un tas de paramètres que l’on sait fluctuer avec l’âge et la situation socioéconomique. Enfin, l’échantillon étant quasi exclusivement (90%) hétérosexuel, impossible d’appliquer aux autres orientations sexuelles la moindre des conclusions.
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Quelles sont-elles ? Que quatre hypothèses sur cinq ont été confirmées. La perdante est la numéro 3 sur la jalousie. Contrairement aux prédictions des chercheurs, les participantes se sont dites plus jalouses à l’idée que leur partenaire acquière un robot sexuel, quand les participants ont consigné une jalousie équivalente qu’importe le modèle. Mais l’un dans l’autre, ces 80% de réussite permettent de calmer autant les espoirs des technophiles que les angoisses des technophobes. La course technologique peut s’emballer, la révolution anthropologique n’est pas pour après-demain. À la fin, et sans doute pour encore un sacré bon bout de temps, c’est la nature humaine qui gagne.
Référence : tinyurl.com/UltramoderneSolitude