Les enfants, c’est sacré, parait-il. Ce lieu commun à pas mal de monde est déjà passablement énervant en lui-même. Mais de plus, l’enfance est par excellence le sujet qui empêche de réfléchir, entraînant nombre de politiques et de journalistes dans une surenchère de bons sentiments. Dès que le mot « pédophilie » est prononcé, la crétinisation des esprits commence. Ainsi a-t-on vu apparaître, en l’occurrence dans Le Figaro, le délicieux concept de « pédophile sur internet ». Tout d’abord, je ne saurais assez recommander à mes confrères d’opter pour l’expression « cyber-pédophile », plus évocatrice, me semble-t-il, et plus apte à évoquer l’effroi. Et je recommande d’explorer de nouvelles voies comme la traque de l’oniro-pédophilie : et n’allez pas me dire que personne ne fait de rêves pédophiles.
De ce point de vue, l’épisode de « l’adolescente séquestrée par le pédophile récidiviste » sur fond de communication gouvernementale fut particulièrement réjouissant – ou atterrant, c’est selon. Absorbés par le combat de Titanes pour la tête du PS, peut-être avez-vous oublié ces 48 heures durant lesquelles la « pédophilie » a été à la « une » de nos médias. Rappelez-vous : cela a commencé par une jeune fille séquestrée dont on n’était pas tout-à-fait sûr qu’elle avait été violée et/ou brutalisée – ce qui voulait évidemment dire qu’elle l’avait très probablement été : un pédophile qui ne viole ni ne violente c’est un peu comme un chanteur muet ou un oiseau sans ailes. Dès ce moment-là, Nadine Morano, une dame à qui, entre nous, je ne confierais pas mes enfants si j’en avais ou alors comme châtiment d’une très grave faute, est entrée dans la danse, se répandant partout sur les dangers d’internet et annonçant à des journalistes ravis par tant d’à propos que le gouvernement était sur le coup.
Le problème, c’est que la petite garce n’a pas été coopérative. Il a du bol le récidiviste (dont le nom a bien entendu été dévoilé par une majorité des grands sites d’information), parce que justement, ce n’était pas une garce. Il aurait pu tomber sur une adolescente bovarysant à la mode de l’époque. Elle aurait monté une sauce agrémentant sa niaiserie romantique du seul piment propre à faire d’elle une héroïne – la victimisation. Elle aurait évoqué dans Paris Match, mais avec pudeur s’il vous plait on a des principes, la brutalité du « prédateur » (terme destiné à vous faire bien comprendre qu’on a affaire à un être déjà hybride, un humain dont la transformation en bête est entamée).
Rien ne s’est passé comme prévu. La fugueuse n’a pas joué le jeu. Résultat, peu après l’arrestation de l’individu, il était clair que la bonne histoire était en train de tourner au bide. Les premiers tuyaux balancés par les flics avaient de quoi rendre les journalistes furieux : comment ça, pas de violence, et on fait quoi, nous, avec notre feuilleton à sensation qui ouvre les bulletins des heures creuses – et, au plus fort de cette émotion fabriquée, le 20 heures – depuis deux jours ? On n’allait pas se rendre à la première sommation. C’est donc en traînant les pieds et avec une mauvaise volonté manifeste que les journalistes ont réécrit leur scénario. Pendant quelques heures, on a lu et entendu que la jeune fille séquestrée n’avait pas été brutalisée. La palme de la sottise doit être décernée au rédacteur de nouvelobs.com qui, refusant décidément de lâcher le morceau, a néanmoins tenu à intégrer à son papier les propos du procureur (la news, c’est sacré). Il a donc annoncé que l’adolescente avait été séquestrée sans violence ni contrainte. Moi, ça m’intéresserait de savoir comment on séquestre sans contrainte. Et aussi de savoir comment on écrit sans comprendre.
Deuxième déception, ce procureur petit-bras. Malgré les appels du pied implicites de certains de mes confrères, rien à faire : à défaut d’une mise en examen pour « actes de barbarie » qu’on n’osait espérer, on comptait au moins sur « enlèvement et séquestration ». Bernique. L’homme a finalement été mis en examen ce soir à La Rochelle (Charente-Maritime) pour « soustraction de mineur en état de récidive légale » et « atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans avec pour circonstance aggravante l’usage de moyens de communication électronique ». Cette circonstance aggravante parfaitement raccord avec l’air du temps paraît assez curieuse pour ne pas dire parfaitement absurde. Jouerait-elle aussi pour des terroristes ? En tout cas, on ne saurait assez conseiller à tous ceux qui s’apprêtent à commettre des forfaits de préférer le bon vieux téléphone à internet. Passons.
Le procureur a néanmoins souligné que « la différence d’âge signait le défaut de consentement ». Ouf, l’essentiel était sauf : il s’agissait bien d’un « pédophile » – d’ailleurs certains articles évoquaient l’enfant enlevée. Visiblement, tout le monde est d’accord pour dire que la pédophilie est un état, presque une essence, bref qu’on est pédophile ou qu’on ne l’est pas. Moi j’aurais tendance à penser que la seule chose que l’on puisse dire, c’est que quelqu’un a ou non commis des actes de pédophilie, mais bon, j’avoue n’être pas spécialiste de la chose. En tout cas, pour celui-là, la jurisprudence « pédophile un jour pédophile toujours » a joué à fond. Dans le cas d’une adolescente de 14 ans, la caractérisation aurait au moins pu être discutée. S’il ne s’agit pas d’une relation entre adultes consentants on n’est pas tout-à-fait dans le cas de l’exploitation d’un enfant par un adulte « ayant autorité ». Bref, les temps ont changé. Il y a quarante ans, la France entière pleurait sur le destin tragique d’une professeur « morte d’avoir aimé ». Condamnée pour avoir eu une liaison avec l’un de ses élèves âgés de 16 ans, Gabrielle Russier s’était suicidée en prison. L’intelligentsia s’indignait que l’on puisse réprimer les pulsions de nos chers bambins (y compris quand ils étaient bien plus jeunes que l’ado « séquestrée sans violence »). Aujourd’hui, si les mêmes, un peu grisonnants, suivent avec gourmandise la « traque » (assez pépère il faut le dire) du pédophile, c’est parce qu’ils espèrent bien qu’à la fin, le châtiment sera exemplaire – et ceux qui se retrouvent en taule avec cette marque d’infamie au front en savent quelque chose, car ce n’est pas au front qu’ils la gardent. Mais bizarrement, quand il est question de l’état terrible de nos prisons, ceux-là, on ne les plaint jamais.
Le plus risible dans tout ça est la complaisance de journalistes qui se croient intraitables. C’est ainsi que nul ne s’est étonné que Nadine Morano sorte opportunément de ses tiroirs un plan sur les dangers d’internet. Parce que vous l’avez compris, le coupable c’est internet. Je le répète, le type aurait téléphoné, il n’avait pas un entrefilet. Moi, je prétends que si les adolescents entendaient et voyaient moins d’âneries, ils n’iraient pas chercher le prince charmant de façon aussi sotte, mais bon, ce n’est que mon avis. Donc, pas un sourcil ne s’est levé après la diffusion du clip pourtant effarant dans lequel on voit des parents idiots ou criminels offrir l’hospitalité aux monstres venus manger leurs enfants – le loup-garou, vous voyez le genre. Au cas où vous n’auriez pas compris, bande de niais, c’est ce que vous faites quand vous achetez un ordinateur à vos schtroumpfs. Dans son lancement du sujet sur la campagne du gouvernement (qui sera diffusée dans toute l’Europe s’il vous plait), la présentatrice de BFM TV a benoîtement annoncé qu’après l’arrestation « du pédophile de Nevers » (qui se trouve être de La Rochelle, Nevers étant seulement le lieu de son arrestation), le message gouvernemental serait diffusé sur toutes les chaînes. Moi, la Morano, je lui tire mon chapeau, parce que ça c’est du plan média. Quant aux confrères, je ne saurais assez leur recommander la patience. Nous finirons par l’avoir notre Dutroux.
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