La Manif Pour Tous a remis le couvert, ou plutôt le bavoir, dimanche. Le défilé, qui a comme d’habitude rassemblé 500000 manifestants selon les organisateurs et 30000 selon le Nouvel Observateur, a rallié la place de l’appel du 18 juin 1940 à Paris, pour marquer d’un symbole fort sa volonté de résistance. Oui mais de résistance à quoi ? Le débat sur le mariage pour tous ne semble plus d’actualité même si certaines personnalités, comme Xavier Bertrand, se passionnent soudain pour la question et agitent désespérément les bras afin d’exister politiquement. Alors pourquoi à nouveau descendre dans la rue ? Quant à la PMA et à la GPA, Manuel Valls lui-même s’est pourtant voulu rassurant en déclarant qu’il était opposé à toute légalisation de cette dernière en France.
Et pourtant tout un chacun devrait savoir que quand un ministre déclare solennellement son attachement ou son opposition à tel ou tel principe la main sur le cœur, c’est à ce moment qu’il faut se méfier le plus. Surtout si l’on considère que la loi Taubira sur le « mariage pour tous » consistait avant tout en un replâtrage juridique dont la condamnation de la France par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, le 26 juin dernier, a représenté une nouvelle étape. Le mariage pour tous n’a jamais complètement réglé la question qui est depuis le début au centre des débats: la filiation doit-elle rester attachée au couple biologique ou doit-elle devenir l’effet d’une volonté ?
La France n’a en rien cherché à contester la condamnation de la CEDH alors qu’elle avait jusqu’au 26 septembre pour le faire. Elle s’est contentée d’avaliser la décision et a consenti à reconnaître la filiation de l’enfant conçu par GPA en Californie. Il faut dire que la pression s’accroît sur la France qui est loin d’être le seul Etat à faire face à cette situation. Après quelques pas de valse hésitants, l’Espagne, dont les tribunaux avaient déjà accédé à la requête d’un couple d’hommes souhaitant adopter un enfant conçu grâce à la GPA en Californie, a finalement admis la possibilité d’inscrire à nouveau des enfants nés sous GPA à l’Etat civil. La question se pose également sérieusement aujourd’hui en Suisse et montre que la condamnation de la France par la CEDH a des répercutions très rapides sur le plan international et que les groupes de pression et la logique économique forcent aujourd’hui aisément la main au législateur.
Cela fait longtemps en effet que les tribunaux californiens ont légiféré sur la question, avec l’affaire de Bébé M en 1987, qui ouvrait la voie à un vaste ensemble d’évolutions juridiques et sociales parmi lesquelles la possibilité d’admettre que la filiation peut désormais découler d’un simple accord contractuel assorti aux possibilités techniques de procréation artificielle. Dans les faits, un tribunal californien peut aujourd’hui autoriser la reconnaissance de filiation dans le cas d’un couple ayant eu recours à la GPA pour concevoir un enfant. Si ce couple revient aujourd’hui en France, l’enfant, dans l’éventualité où il est né d’un parent français, se verra reconnaître la nationalité française. La mère qui n’a pas porté l’enfant, ou l’un des conjoints dans le cas d’un couple homosexuel, devra produire le jugement du tribunal américain afin de prouver la filiation établie juridiquement. Si toutefois le père biologique de l’enfant vient à décéder, le lien naturel ne sera plus reconnu, puisqu’il n’existe pas biologiquement. La CEDH a donc statué « en faveur du droit de l’enfant », c’est-à dire de l’intérêt de celui-ci à se voir reconnaître cette filiation, au détriment toutefois des principes généraux du droit. La décision constitue également une victoire de l’intérêt privé sur l’intérêt général et s’apparente à une uniformisation progressive des normes juridiques sur le plan international en faveur du régime de la common law anglo-saxonne au détriment de la tradition romano-civiliste. Il suffit désormais pour un couple de se rendre au Royaume-Uni ou en Californie afin de concevoir un enfant par le biais de la GPA ou de la PMA pour ensuite faire reconnaître la filiation sur le sol français en sollicitant éventuellement l’intervention de la CEDH et en insistant médiatiquement sur la valeur symbolique de ce combat.
Dans ce domaine, les associations et lobbys de défense des droits des couples homosexuels ont acquis un professionnalisme certain. L’association « All out » a fait une apparition médiatique remarquée à l’occasion d’une contre-manifestation dimanche, qui n’a pourtant rassemblé que quelques centaines d’opposants place de la République, pour protester contre la Manif Pour Tous et « célébrer la diversité de toutes les familles ». Ce collectif, émanation d’une ONG fondée en 2010 à New-York par Jérémy Heimans, créateur de l’organisation cybermilitante Avaaz, est en effet bien plus efficace dans le domaine du lobbying médiatique que dans l’action de rue. Appuyée sur Purpose Action, une ONG qui se définit comme « une organisation caritative de statut américain 501(c)(3) consacrée à l’éducation et au changement des mentalités et (…) une organisation de statut 501(c)(4) consacrée aux campagnes politiques », All Out peut compter sur des soutiens puissants au niveau européen. Celui du Sigrid Rausing Trust, association philanthropique et think tank britannique, ou encore de la fondation Ford ou du Fonds d’Action Gill. Ces différents groupes de défense des homosexuels participent également avec beaucoup de succès à l’adaptation sur le plan international les différentes formes de droits nationaux aux revendications associant progressisme sociétal et libéralisation économique. Guillaume Bonnet, ancien de l’ESSEC et de Médecin sans Frontières, qui coordonne les actions de All Out pour la France, ne fait pas mystère de ses ambitions en ce qui concerne la GPA et la PMA : « Je ne comprends pas que le Premier ministre exprime le refus d’une revendication qui participe d’une grande générosité. Si elles sont encadrées par l’Etat, la GPA et la PMA ne seront pas à la merci d’une commercialisation. » (20 Minutes. 6 octobre). Comme le rappelle le magazine Têtu, le simplisme qui pouvait être reproché à All Out à ses débuts en France « est devenu une force pédagogique pour expliquer des sujets complexes au grand public. » Par pédagogie, il faut comprendre la capacité à faciliter un glissement sémantique assez peu subtil : au moment des manifestations contre la loi Taubira, l’opposition au « Mariage pour tous » était systématiquement associée à l’homophobie, aujourd’hui c’est le fait de refuser la légalisation de la GPA qui expose à cette accusation.
La condamnation de la CEDH montre au passage que, dans bien d’autres domaines, toutes les décisions prises en vertu de la loi française sont désormais soumises à l’aval de la puissante cour de justice européenne comme l’a montré encore très récemment la validation, du bout des lèvres, par les juges européens, de l’interdiction du port du voile intégral en France dans les lieux publics. Le pouvoir exorbitant de la CEDH répond à la tentation d’imposer, au nom des droits de l’homme, une normativité juridique et culturelle qui fait fi de toutes différences culturelles au nom du principe d’égalité. Celui-ci devient un dogme s’appliquant peu à peu à tous les domaines et à tous les aspects de l’existence et justifie l’impossibilité complète de s’opposer à une logique de marchandisation qui s’applique aussi à la manufacture du vivant. Comme le rappelle d’ailleurs, avec une logique impeccable, un collaborateur de Contrepoints¸ les partisans de « la diversité des familles » et de la GPA sont les avocats de l’application des règles du marché libre au corps humain, une logique à laquelle les représentants de la « France rassie », qui « tremble de passer à la moulinette de l’histoire et de la modernité », n’a plus aucune chance de s’opposer. D’ailleurs, les écologistes eux-mêmes s’offusquent qu’un José Bové ou un Noël Mamère expriment leur scepticisme vis-à-vis de toutes ses merveilleuses avancées du progrès. Après tout, c’est bien un député écolo qui avait dégainé le premier en proposant de transcrire dans l’état civil français l’acte de naissance d’un enfant « établi par une autorité étrangère dont le droit national autorise la gestation ou la maternité pour autrui ». Il est vrai que les Verts et EELV semblent avoir décidément abandonné toute cohérence sur la question, à l’image de Jean-Vincent Placé qui s’empêtre tout seul dans ses « connotations de la Seconde guerre mondiale » à force de vouloir faire de la démagogie pour tous à tout propos. C’est toujours plus facile de ressasser éternellement les heures les plus sombres de notre histoire que d’essayer d’entrevoir celles que nous prépare l’avenir.
*Photo : DES Daughter.
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