Le caractère grotesque de certaines prises de parole récentes de Valérie Pécresse a de quoi dérouter. Qui aurait bien pu sérieusement anticiper que la candidate LR à l’élection présidentielle se lancerait dans une libre métaphore filée sur le thème de «Star Wars»? La faute à la dictature de la com?
Il y a comme un parfum d’Alain Juppé dans la campagne de Valérie Pécresse. En novembre 2016, on se souvient alors du « meilleur d’entre nous » lançant à la fin d’un meeting cette improbable incantation : « J’ai la pêche. Mais avec vous, c’est la super pêche ! ». Malaise dans la salle, accentué par les quelques éphèbes arborant un t-shirt « les jeunes avec Péju » frétillant sur scène pour l’occasion. Comme pour cacher la calvitie achevée de l’homme du moment, la surenchère de jeunisme dictée par des jeunes-vieux conseillers en com’ de 30 ans passés faisait l’effet de l’arrivée d’une grand-mère à une fête d’ados : on la traite avec déférence, mais tout le monde attend son départ. On connaît la suite.
Valérie Pécresse a eu plus de chance, obtenant l’investiture de son parti en vue de la magistrature suprême. Mais le ridicule consommé de ses sorties a déjà de quoi faire déchanter.
Agriculture Pride
Le 15 janvier, au sujet des politiques agricoles et de la détresse durable de la paysannerie en général, elle résumait son ambition en ces termes : « Contre l’agri-bashing, je restaurerai l’agri-fierté »[1]. Mais Valérie Pécresse nous réservait encore une bonne surprise : une métaphore filée sur le thème de « Star Wars »[2], en établissant une analogie entre chaque candidature et le titre d’un des opus de la série… la championne identifiant la sienne au « Retour du jedi ». Malaise, là encore. En l’espèce, ces sorties ne sont pas seulement minables, elles interrogent sur la substance du projet porté par la candidate : comment accorder un quelconque crédit à une vision politique dès lors qu’elle tient en quelques slogans aussi mauvais ?
A lire aussi, Philippe Bilger: Pour Valérie Pécresse, ce n’est pas tous les jours dimanche
Pourtant, Valérie Pécresse n’est pas une idiote. Même les observateurs les moins bien disposés à son endroit sont forcés de le reconnaître. Et s’il est devenu de bon ton de critiquer l’ENA, c’est vite oublier aussi que les grands corps de l’État requièrent de la part de leurs membres une haute technicité administrative et juridique. Le passage par le Conseil d’État de Valérie Pécresse ne laisse pas de doute à ce sujet : la sécheresse juridique de ses quelques 380 conclusions produites entre 1995 et 1998 pour cette instance n’en dissimule pas moins la rigueur de haute volée. On est dès lors pris par un nouveau doute : comment une personne semble-t-il si compétente dans son domaine d’expertise et rodée à la prise de parole publique est-elle capable d’aligner des saillies aussi navrantes ?
La com reine (Leila ?)
Qu’un robinet d’eau tiède comme Valérie Pécresse peine à faire décoller sa campagne, personne ne s’en étonnera vraiment. Elle n’a jamais su faire le « show », comme Nicolas Sarkozy en son temps, et sa victoire surprise aux régionales de 2015 tenait avant tout à la nullité abyssale de son rival, Claude Bartolone. Mais on est sincèrement pris d’angoisse à l’idée qu’elle puisse déblatérer de telles inanités face caméra sans être débranchée par personne. Et là où en direct le « dérapage », comme l’on dit, a pour lui l’alibi de l’improvisation, ces formules prémâchées laissent d’autant plus perplexes qu’on les sait passées au tamis des incessants « brainstormings » d’une équipe de campagne.
Certes les problèmes éminemment politiques de l’âge de départ à la retraite, de la fiscalité ou encore des politiques agricoles ou énergétiques (encore que cette dernière question se soit étonnement retrouvée récemment sous les projecteurs avec le nucléaire) sont peu à même de déchaîner les foules, en dépit de leur importance. Reste que dans l’organisation pyramidale d’une équipe de campagne que peut encore mettre sur pied un parti « à l’ancienne » comme LR s’affairent une multitude de « pôles de réflexions », produisant des notes en pagaille, elles-mêmes censées se décanter en un programme prétendant répondre à tous les problèmes du pays ; des ronds-points à la stratégie de défense. Or précisément, ici mieux qu’ailleurs, on ne connaît que trop cette injustice : la corrélation entre « l’expertise » d’un programme et sa faculté à gagner la sympathie des électeurs est nulle.
À lire aussi, Olivier Jouis: De Chevènement en 2002 à Zemmour en 2022, itinéraire d’un souverainiste venu de l’autre rive
Là se situe une part du problème : même de projet politique, chez Valérie Pécresse, il n’y en a point. Le parti se contente de recycler des antiennes de la droite business telles que la suppression des fonctionnaires (lesquels ? comment ?) et la rigueur budgétaire. Bref, c’est le programme d’un comptable, sans vision charnelle du pays ni orientations de société. De ce fait, il n’y a rien qui puisse donner du grain à moudre aux trolls d’internet autrement que par la moquerie. À cet égard, les saillies de Valérie Pécresse sont probablement à lire comme la navrante tentative de contrefeu encouragée par les équipes de com’ face au caractère fade et insubstantiel de la championne. Il n’y a au reste pas l’ombre d’un narratif à broder autour de la vie rangée de cette femme de Neuilly qui tente de dissimuler les crocs de son ambition derrière une solidarité féminine de circonstance face à Jean-Jacques Bourdin. Ça ne coûte rien, mais qui y croit ? Ou quand la marquise de Pompadour tente une Jeanne d’Arc. Tout sonne faux. Ne reçoit pas la visite de l’ange qui veut. Il n’y a rien à aimer chez Valérie Pécresse, mais, et peut-être est-ce pire encore, il n’y a rien à détester non plus.
Cataplasme sur jambe de bois !
Or voilà encore ce que l’on ne peut pas pardonner à un politique, moins aujourd’hui qu’hier : l’inauthenticité. Dès lors que la faculté d’attention du citoyen s’est habituée au format TikTok de 45 secondes, ce sont les « coups de sang » et les formules bien senties qui créent la sympathie ou le rejet. Ne pas avoir d’idées est excusable en politique (dans certains cas, cela peut même être un avantage), et Valérie Pécresse n’est certes pas embarrassée par ce fardeau. Ne pas être « authentique », ne pas être « entier » est en revanche le pire des péchés. C’est tout le drame de ceux qui, comme Valérie Pécresse, ne sont mus par rien, et qui, s’aventurant sur le terrain escarpé des passions humaines, sont incapables de jouer une comédie dont ils n’ont pas même lu le résumé. La candidate peut bien se payer les services de l’acteur Benoît Soles pour travailler sa geste, l’effet cataplasme sur une jambe de bois est garanti. En la matière, et à la différence de la préparation d’un programme, on ne peut pas déléguer à des experts le souci de son « authenticité », précisément par ce que cela ne constitue pas un domaine d’expertise. On pourra faire turbiner tant qu’on voudra des « jeunes » pour lui donner « les codes de la culture web », rien n’y fera si elle continue de les prendre pour un arrêt de la Cour de Cassation à commenter. Sa dernière prestation au Zénith, le 13 février, avait déjà un parfum crépusculaire. Ah ! que ce serait plus simple s’il suffisait de repasser son épreuve de finances publiques pour être présidente
[1] https://twitter.com/vpecresse/status/1482419813469200396
[2] https://www.youtube.com/watch?v=cKxXz4DTn6k
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !