Depuis 2010, Kleis Jager est le correspondant à Paris du quotidien néerlandais Trouw.
Daoud Boughezala. Le Parlement néerlandais vient d’adopter une proposition de loi instaurant la déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux, mesure que François Hollande n’est pas parvenu à faire voter en France. Pourquoi cette proposition si polémique dans notre pays a-t-elle fait l’objet d’un quasi-consensus aux Pays-Bas ?
Kleis Jaege. L’idée que les traîtres à la patrie soient exclus de la communauté nationale ne choque personne aux Pays-Bas. Le débat a porté sur l’efficacité de la mesure : du côté du gouvernement néerlandais comme des adversaires de la déchéance, personne n’en a fait un symbole. C’est une question d’efficacité, pas une querelle sur les principes. Dans la politique française, ce qui importe le plus souvent, ce n’est pas la valeur d’une idée en soi, mais l’identité de celui qui l’explique. Ainsi, le Front national a toujours défendu le principe de la déchéance de nationalité à l’encontre des terroristes binationaux et cela a nui au débat. Il faut dire qu’un autre ingrédient a joué : la notion de droit du sol n’est pas connue chez nous, on est néerlandais parce que ses parents le sont. Certes, on peut acquérir la nationalité mais cela n’a rien d’automatique. Au contraire des Français qui hystérisent la question, les politiques néerlandais font preuve de pragmatisme.
Ici, les promoteurs de la déchéance, à commencer par le couple exécutif Valls-Hollande, reconnaissaient que cette disposition relevait davantage du symbole et ne contribuerait en rien à endiguer le danger terroriste. Qu’en est-il aux Pays-Bas ?
Le ministre de la Justice Ard van der Steur, membre du Parti libéral, a présenté la déchéance comme un moyen d’éviter le retour au pays des djihadistes néerlandais binationaux en en faisant des « étrangers indésirables ». Le gouvernement a étendu le champ d’application d’une loi votée en mars dernier, qui prévoyait de déchoir de la nationalité néerlandaise les binationaux ayant suivi ou dispensé un entraînement terroriste à l’étranger. Auparavant, comme en France, un citoyen binational représentant un danger pour la sécurité nationale devait attendre d’être condamné pour perdre la nationalité néerlandaise. Désormais, afin de prévenir des activités terroristes, la déchéance n’est plus conditionnée à une condamnation judiciaire : il suffit d’avoir séjourné sur les terres de l’Etat islamique en Irak et en Syrie pour tomber sous le coup de cette loi.
Après la vague d’attentats qui a déferlé sur Paris, Copenhague et Bruxelles, le maire travailliste de Rotterdam Ahmed Abou Taleb s’est illustré par ses propos très fermes sur la nécessaire intégration des immigrés musulmans. Comment la droite et la gauche néerlandaises se positionnent-elles sur l’islam et l’immigration ?
Ces questions divisent les partis. Au sein du parti social-démocrate, certains soutiennent la ligne Abou Taleb, tandis que d’autres sont plutôt sur une ligne multiculturaliste. Mais la montée du Parti de la liberté de Geert Wilders a fait évoluer le débat par rapport à ce qu’il était il y a dix ou quinze ans. Paradoxalement, par ses prises de position violemment anti-islam, Wilders a contribué à revaloriser un multiculturalisme mis en pièces par Pim Fortuyn, Ayaan Hirsi Ali et beaucoup d’autres. Alors que le multiculturalisme paraissait presque moribond il y a quelques années, son plus grand pourfendeur qu’est Wilders lui redonné des couleurs !
Justement, depuis les années 2002-2004, date des assassinats de Pim Fortuyn – par un militant écologiste « anti-islamophobe » – puis de Théo Van Gogh – par un islamiste-, le multiculturalisme néerlandais semble en crise. Après une phase de crispation, le fameux « modèle » néerlandais, réputé plus tolérant, connaît-il un retour en grâce ?
Après 2004, la nécessité de revoir notre modèle d’intégration a fait figure de nouveau consensus, que le phénomène de Wilders est venu troubler. Aujourd’hui, on peut à nouveau être taxé de racisme et assimilé à Geert Wilders au moindre mot de travers, cela fonctionne un peu comme l’antilepénisme en France ! Néanmoins, le multiculturalisme béat et un peu naïf a disparu et nous allons de polémiques en polémiques.
Pouvez-vous nous citer un exemple ?
La dernière en date tourne autour de Sylvana Simons, une animatrice de télévision assez connue originaire du Surinam qui a choisi de rejoindre l’équivalent néerlandais des Indigènes de la République. C’est un nouveau parti créé par des parlementaires d’origine turque déçus du Parti social-démocrate qui ont voulu répliquer à Geert Wilders en occupant un créneau identitaire parallèle au sien. Ce populisme immigré provoque en retour des réactions racistes, qui se déchaînent notamment autour de Sylvana Simons. Une pétition sur Facebook exige même son expulsion du pays le 6 décembre : un clin d’œil raciste à l’imagerie populaire qui représente Saint-Nicolas distribuant des cadeaux aux enfants en compagnie de ses petits aides noirs. Les choses se sont tant envenimées que certains critiques de l’immigration appellent aujourd’hui à l’apaisement, à l’instar du plus grand magazine d’opinion néerlandais Elsevier qui a titré : « Il faut se calmer ! »
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