La prochaine Première ministre néerlandaise pourrait être une ex-réfugiée turque échouée sur une plage grecque ! Un sacré atout pour plaire à la gauche, dirait-on. Il n’en est rien. Portrait de Dilan Yesilgöz.
Si en novembre son parti libéral remporte les élections, la limitation de l’immigration extra-européenne sera prioritaire pour Dilan Yesilgöz, née en 1977 à Ankara dans une famille turco-kurde. Très à gauche dans sa jeunesse, elle passa à droite avec l’âge. Cela arrive aux meilleurs. Et, à droite, elle l’est bien plus que l’homme qu’elle compte remplacer à la tête du Parti pour la Liberté et la Démocratie (VVD), le Premier ministre démissionnaire Mark Rutte. Lequel avait été aux manettes du parti et de quatre gouvernements de coalition depuis 13 ans quand, à la stupéfaction générale, le 10 juillet, il annonça son retrait de la politique après une période de flottement. La coalition qu’il dirigeait avait explosée peu avant sur la question de l’immigration, dont les excès justifieraient, selon le magazine libéral EW, la proclamation de l’état d’urgence.
Au sein du VVD, Mme Yesilgõz est pour l’heure la seule candidate à la succession de Mark Rutte. Si d’autres sont suffisamment naïfs ou audacieux pour la défier, les membres seront appelés à trancher avant la mi-août.
Flirts de jeunesse avec la gauche
Mme Yesilgõz était arrivée aux Pays-Bas en 1984 comme réfugiée avec sa mère et sa petite sœur. Son père, syndicaliste de gauche et militant kurde, les y attendait. Trois ans plus tôt, il avait obtenu l’asile politique après sa fuite de Turquie où les autorités auraient voulu l’arrêter.
Si son épouse et ses filles passèrent la première partie de leur fuite sur le bateau de pêche branlant d’un passeur turc, qui les déposa sur l’île grecque de Kos, la suite fut bien plus confortable. Et gratuite, grâce aux bons soins de l’État néerlandais qui avait payé les billets d’avion de la compagnie KLM. Sur le bateau, les trois femmes n’avaient qu’un seul sac avec elles, il est vrai, un authentique Louis Vuitton, que plus tard Dilan Yesilgöz montrera volontiers pour illustrer leur périple. Lycéenne et étudiante dans sa nouvelle patrie, Dilan Yesilgöz se frotta à pas moins de trois partis de gauche, avec le sentiment désagréable d’être l’étrangère “de service”, confinée dans un rôle victimaire. Les bonnes âmes la supposèrent musulmane, alors que la religion “ne [lui] dit absolument rien”, devait-elle confesser plus tard. Libérale, laïque, elle est mariée à un homme néerlandais juif portant parfois la kippa, ce qui dans certains quartiers des grandes villes hollandaises comporte désormais des risques…
Après ses flirts avec la gauche, Dilan Yesilgöz adhére au VVD et siège entre 2014 et 2017 au conseil municipal de la capitale, où la gauche fait la loi. Elle s’y fait une réputation de combattante contre la criminalité et les incivilités dont les jeunes filles font les frais. Tout le monde sait que ce sont surtout des garçons issus de la diversité, en particulier marocaine, qui s’en rendent coupables. Vérité pas bonne à dire dans le climat woke de la capitale, sauf pour Dilan Yesilgöz et d’autres voix isolées. “Talons aiguilles et forte en gueule” la qualifiait alors le journal amstellodamois Het Parool.
Make The Netherlands great again !
Ses talents de tribun, et l’admiration qu’elle suscite alors parmi d’autres filles d’immigrés, lui valent un siège au parlement à La Haye. Après sa nomination comme ministre de la Justice, début 2022, elle a maille à partir avec d’autres députés appelés jadis “allochtones”. Mot tombé en désuétude car jugé stigmatisant. Ainsi, elle sort de ses gonds quand une députée accuse la police de racisme pour avoir empêché une manifestation contre Zwarte Piet, le valet noir de Saint-Nicolas honni par des activistes pour ses supposés liens avec l’esclavage. Un autre député refuse de l’appeler par son patronyme turc, utilisant toujours celui, juif, de son mari. À bon entendeur… Ce député, d’origine turque lui aussi, avait fait remarquer, après l’assassinat de Samuel Paty, que des dessins d’Allah ne tombent pas sous le coup de la liberté d’expression.
Geert Wilders, dirigeant principal de la droite de la droite, ne sortit pas non plus grandi d’un duel avec elle. Il feignait de croire qu’une ministre d’origine turque mettrait fin à sa protection suite à la fatwa prononcée contre lui en 2004.
En tant que Premier ministre, Mark Rutte ne tenait des paroles fermes sur l’immigration qu’en période électorale. Du genre: “Nous allons rendre ce merveilleux pays aux Néerlandais!” En réalité, la droite de conviction le voit comme quelqu’un qui ne cesse de s’excuser de ne pas être de gauche. Il incombera à Dilan Yesilgöz de rompre avec la tradition de bricolage de coalitions gouvernementales lambda, dont les mesurettes contre l’immigration exaspèrent le peuple et amusent les passeurs. Encore faut-il gagner les élections législatives anticipées de novembre, ce qui est loin d’être acquis. Déjà, ça fleure bon la campagne électorale où la gauche, qui ne lui a pas pardonné sa trahison, traite Mme Yesilgöz d’hypocrite opportuniste, quand ce n’est l’inverse. Car, bien sûr, n’avait-elle pas bénéficié elle-même du regroupement familial dont, quarante ans plus tard, elle compte priver d’autres ? Un “raisonnement minable” juge l’écrivaine turco-néerlandaise Lale Gül, menacée depuis qu’elle a abjuré l’islam et jeté son voile. Dans sa chronique à Het Parool, elle rappelle le “soutien quotidien” que lui témoigna « Dilan » dans ses heures sombres. Et fustige “les racistes de gauche qui pensent pouvoir dicter leur idéologie politique à une fille d’immigrés”.