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Pauvre, sois heureux !


Photo : Eric.Parker.

J’aime beaucoup Le Parisien qui d’ailleurs ne s’appelle plus Le Parisien une fois passées les frontières de l’Ile-de-France mais Aujourd’hui, ce qui traduit un louable souci de parler au plus grand monde. Le Parisien est sans doute, au sens noble du terme, le dernier quotidien populaire en France avec des pages hippiques, un horoscope et une carte météo qui ne ressemble pas à un timbre poste. Et contrairement à ses confrères d’Outre-Manche, pour être populaire, il ne se vautre pas pour autant dans la fange hystérique des tabloïds. Il sait même faire des unes avec des dossiers simples et didactiques sur des sujets austères que tout le monde feint de comprendre, comme l’économie en temps de crise.

Justement, avec le souci du bonheur du plus grand nombre, dans son édition du 2 janvier, Le Parisien nous propose une page avec 12 conseils pour aimer 2012. On appréciera le souci euphonique du titre. En dessous, pour « faire dossier », il y a un court entretien avec un neurobiologiste. La situation est donc si grave qu’il faille d’une part des conseils pour aimer une année à venir et d’autre part faire appel à un homme de science pour nous parler de la manière d’être heureux. On voudrait nous suggérer, même inconsciemment, que notre morosité est plutôt une question de taux de lithium et de sérotonine dans notre cerveau et n’a pas pour cause un cousin qui vient de perdre son boulot et fait flirter le taux de chômage avec les 10% de la population active qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Mais non, le neurobiologiste ne nous ordonne pas de nous mettre sous antidépresseurs, il veut juste que nous ayons une attitude positive et il le résume en un conseil d’une pertinence qui laisse rêveur : « Il faut aller de l’avant pour être heureux. »

Monsieur Prudhomme et le pharmacien Homais réunis dans un brain trust sous les auspices de Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues n’auraient pas trouvé mieux. D’autant plus que c’est discutable, cette idée d’aller de l’avant quand on a le sentiment d’être au bord d’un précipice…
Mais revenons aux douze conseils du Parisien. Le premier nous indique que « les plaisirs doux sont souvent les moins chers » et de nous conseiller d’écouter une chanson que l’on aime. C’est vrai que c’est une bonne idée surtout quand le deuxième conseil nous demande de nous extasier sur le fait que « le smic augmente, c’est mieux que rien. » Il est vrai qu’à 1398 euros 37 bruts, il vaut mieux avoir des joies pas chères et laisser le foie gras à ceux qui ont de l’argent.

Si on parle de gastronomie, c’est que Le Parisien nous conseille en septième position de faire honneur à la gastronomie française récemment honorée par l’Unesco. Moi, je veux bien, mais je maintiens qu’avec 1398 euros 37 bruts, c’est un peu compliqué. Mais qu’importe, on nous donne un excellent conseil 3 : « La méthode Coué, ça marche ! » Répétez, pour voir, vingt fois « Mes œufs mayonnaises sont du foie gras, mes oeufs mayonnaises sont du foie gras » vous allez voir, ça marche !

Sinon, très antipascalien, Le Parisien nous conseille le divertissement. Cesser de s’occuper de soi et de son angoisse métaphysique pour s’occuper d’autrui (conseil 4), car donner à plus pauvre que soi non seulement c’est moral et ça évite à l’Etat de le faire. On pourra aussi oublier ses soucis en regardant les grandes compétitions sportives dont les JO et la Coupe d’Europe(conseil 8), façon discrète de nous faire comprendre que l’adage « Des œufs mayonnaise et des jeux » est toujours d’actualité quand les empires s’écroulent. Pour finir, on recommande même (conseil 10) de faire des bébés même si la France a déjà fait ses preuves en ayant la première natalité d’Europe avec deux enfants par femme. Mais là, on se souvient surtout que le regretté Alphonse Boudard appelait les étreintes « le café du pauvre » car cela ne coûtait rien, en tout cas sur le coup, si vous me passez l’expression.

Non décidément, le seul conseil qui me semble jurer dans cette liste qui sent bon la soumission à l’ordre des choses, c’est le numéro 9 : « Ne vous privez pas d’aller voter ». Effectivement, ça, on ne va pas s’en priver.



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