Ma passion secrète pour les romans estampillés « Vu à la télé » de mon enfance
Après un mois de confinement, le vernis craque. Faute de nouveautés, le critique littéraire a épuisé tous les grands auteurs qui rassurent l’égo et le lecteur. On peut maintenant passer aux choses sérieuses, naviguer à vue, explorer des terres marécageuses, s’intéresser enfin aux objets étranges et bizarres, chasser l’incongru. Des livres d’amateurs ou de mateurs, des couvertures qui dégueulent de couleurs, le témoignage d’une édition commerciale qui flirtait jadis avec la télé ou le cinéma sans honte, ni reproche. Le macaron « Vu à la télé » apposé sur un livre exerce sur moi la même attraction que la cocarde sur l’élu républicain. Il peut emprunter les voies de bus avec l’assurance de son intouchabilité et moi, assouvir cette passion « malsaine » pour des ouvrages d’apparence mineure sans craindre la moquerie générale.
Le choc des photos
La ringardise m’a toujours comblé l’esprit. Je préférerai toujours le baroque télévisuel aux certitudes universitaires. J’ai appris l’histoire de la littérature chez Kléber Haedens, c’est dire ma résistance aux forces bien-pensantes. Certains de mes confrères s’endorment dans des chambres tapissées de Pléiade en rêvant à l’Académie ou à un hypothétique Prix d’automne. Moi, je rêve de Véronique Jannot et de Nicole Berger. J’ai eu mon premier choc littéraire en achetant Pause-café de Georges Coulonges paru aux éditions Fayard en 1981. Ce n’est pas le texte qui, dans un premier temps, a suscité mon adhésion totale mais bien la photo de Joëlle Mazart. Je défie quiconque de ne pas succomber au charme révoltant de cette assistante sociale d’un lycée périphérique. Tout chez elle, n’est qu’harmonie banlieusarde, volupté ouvrière et mystère sensuel. Il y a bien sûr cette lèvre ourlée qui appelle les baisers, la profondeur du regard qui ne laisse aucun doute sur nos chances, cette fille-là, nous laissera sur le carreau, inerte et ravi, puis le carré déstructuré très classe moyenne mitterrandienne, méritocratie laborieuse, vous vous souvenez ce faux classicisme, cet entre-deux érotique hésitant entre la franche émancipation et la chaleur d’un foyer.
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Enfin, pour être honnête avec vous, ce qui a emporté mon acte d’achat, c’est le pull en mohair bleu électrique. Ah si toutes les employées de l’EDF pouvaient le porter à la façon de Véronique, j’aurais tenté une carrière d’électricien. Je serais monté sur les plus hauts pylônes de France bravant mon vertige. Combien de livres peuvent-ils vous mettre dans un état proche de l’Ohio avant même de les avoir ouverts ? On pousse alors la curiosité un peu plus loin, on lit sans trop s’y attacher la quatrième de couverture, on apprend que ce Georges Coulonges « a exercé bien des métiers avant de devenir homme de théâtre, de chanson, de télévision, auteur tout à la fois du Potemkine chanté par Jean Ferrat et du triomphal Zadig monté par Jean-Louis Barrault ». Mais, à ce stade-là, on n’est pas encore convaincu d’ouvrir le roman. Et l’on tombe sur cette phrase qui nous ferre : « Sous sa salopette, Joëlle porte un corsage en toile écrue. Brodé. Serré au cou. Aux poignets […] Sous le corsage ancien, on devine une poitrine neuve. Nue. Libre ».
Le logo mythique d’Antenne 2 sur la couverture
Quel plus beau sésame en littérature que le mot « corsage » ! J’ai eu la même émotion en dénichant le roman Cécilia, médecin de compagne de Gérard Sire sorti aux éditions Gautier Languereau en 1966, la même année que la diffusion des treize épisodes de ce feuilleton télévisé sur la première chaîne de l’ORTF. Qui n’a pas vu l’actrice Nicole Berger (morte en 1967, un an après, d’un accident de voiture) débarquer dans le bourg de Tourlezane au volant de sa 4L découvrable, ne sait rien des blondeurs assassines, des jeunes femmes rieuses et décidées des années 1960. Parfois, c’est un logo qui m’attire, celui d’Antenne 2 (le A et le 2 entremêlés), l’originel aussi mémorable que la pièce de 10 francs, tous deux l’œuvre du peintre Georges Mathieu. Ce logo trônait sur la couverture de Papa poule de Daniel Goldenberg chez JC Lattès en 1980. Gamin, j’aimais suivre les aventures de cette famille un peu particulière, cette tribu se déplaçait dans une Estafette bariolée. « Bernard Chalette avait quarante ans légers, du charme et pas mal de cheveux blancs dans sa tignasse à la Harpo Marx », voilà comme était décrit dès la première page, ce père de famille.
C’est toujours avec émotion que j’associe la couverture de ce livre et l’acteur Sady Rebbot (1935-1994) qui enchantait mes samedis après-midi d’enfant unique. Un autre jour, je vous parlerai de la première enquête de la Commissaire Tanquerel parue sous le titre Le Frelon signée par le duo Jean-Paul Rouland & Claude Olivier chez Denoël en 1977 et qui prit le nom de « Tendre Poulet » au cinéma sous la caméra de Philippe de Broca.
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