La journaliste Pauline Condomines s’est infiltrée au cœur des réseaux d’extrême-gauche pendant six mois pour Livre noir. Rencontre.
Causeur. Concrètement, comment avez-vous fait ? Avez-vous seulement été une militante de base, ou avez-vous vu tout l’échelon stratégique et eu accès aux lieux de prises de décision ?
Pauline Condomines. Je me suis intégrée dans les groupes petit à petit. Il faut savoir que c’est une galaxie. Pour les « Soulèvements de la Terre », j’ai eu par exemple à parler de mes anciens engagements pour en faire partie, et ainsi de suite. Pour l’organisation « Urgence Palestine », j’ai dû rejoindre des petits groupes locaux, participer jusqu’à ce que l’opportunité se présente et que je rejoigne le comité national. Tout cela m’a finalement amenée à participer à des actions plutôt intenses : bloquer une route, attaquer l’enseigne Carrefour ou encore dormir dans une ZAD !
Quels sont les codes de ces milieux ? Comment s’assimile-t-on dans un mouvement radical d’extrême gauche ?
Il y a une culture de l’anonymat. Dans beaucoup de groupes, tu peux donc te présenter sous pseudonyme. Et il y a des codes assez particuliers avec lesquels il faut vite te familiariser – ces gens vivent dans un monde très étonnant. Par exemple, dans l’écologisme, ils parlent notamment en langage silencieux, en exécutant différents gestes pour signifier différentes choses, comme « je suis d’accord ; je voudrais parler ; je voudrais parler en deuxième ; faire silence » etc., ce qui est assez infantilisant pour des adultes ! Rien à voir avec « Urgence Palestine », où les rapports sont beaucoup plus virils et frontaux lors des réunions.
Pendant vos nombreuses sorties ou vos actions, avez-vous apprécié des aspects ou certaines idées de ces collectifs ? Avez-vous fini par être convaincue par certaines causes ?
Malgré mon habitude à fréquenter ces milieux, j’ai toujours eu peur d’être identifiée et démasquée. C’était donc difficile d’apprécier les moments que je vivais. Impossible évidemment de ne pas être touchée par certains jeunes qui s’engagent pour la planète ou des causes que je peux comprendre comme l’A69. Mais, malgré cela, je ressentais une certaine peine à les voir instrumentalisés par la logique intersectionnelle qui les dépasse. Et je ne peux m’empêcher d’imaginer les réactions de ces groupes, notamment « Urgence Palestine », maintenant que mon identité a été dévoilée. Ils doivent se dire que je suis un agent sioniste infiltré, financé et au service d’Israël – ce qui n’est pas le cas !
Vous avez fréquenté des milieux assez méfiants, et parfois violents. Est-ce qu’aujourd’hui, en tant que témoin à visage découvert, vous vous sentez en danger ? Avez-vous reçu des menaces ?
Il y a des personnes radicalisées dans les groupes que j’ai côtoyés. Je pense une nouvelle fois à « Urgence Palestine », qui rassemble des personnes violentes et impulsives, car radicalisées. Je n’ai jamais rencontré de personnes aussi extrémistes ailleurs. Nous sommes actuellement en train de remonter le fil des menaces, des poursuites judiciaires seront engagées. Ça va être facile de remonter jusqu’à ces gens. Je pense qu’ils ne me feront rien, et d’ailleurs, je suis très bien protégée. Oui, j’ai reçu des menaces par téléphone. Mais j’ai aussi reçu beaucoup d’encouragements.
En octobre 2023, Nora Bussigny avait publié une enquête après avoir aussi infiltré des milieux militants woke pendant 1 an. La connaissez-vous, et vous a-t-elle aidée ou inspirée ?
Je ne la connais pas personnellement, mais j’ai lu son livre. Lorsque je l’ai lu, cela m’a amusé car elle s’est retrouvée à se lier avec des gens que je connaissais. Notamment Irene Hermoso, une militante espagnole, que Mme Bussigny a rencontrée à la fac : elle présentait des réunions interdites aux cisgenres. De mon côté, j’ai rencontré cette Irene à la Bourse du travail, occupée à organiser ces mêmes réunions interdites aux cisgenres. Sinon, Nora Bussigny m’a beaucoup inspirée, mais je considère ne pas avoir la même démarche. Alors qu’elle était une actrice de ses groupes, je me suis plus présentée comme une petite souris discrète qui se faufile partout…
A la lecture de votre dossier, on a l’impression que politiquement même LFI et la NUPES sont dépassées par ces mouvements… Est-ce le cas, selon vous ?
Chez Urgence Palestine, en effet, des élus LFI sont venus séduire les militants. Ces élus savent parfaitement qu’ils sont extrémistes, qu’ils font l’apologie du terrorisme, et que leur antisionisme se confond avec leur antisémitisme. Jean-Luc Mélenchon envoie des gages depuis plusieurs années à ces mouvements. On retrouve des thèses équivalentes entre ce qu’il dit publiquement et ce que j’ai entendu en réunions privées. Les LFI essayent de donner des gages subtils à ces gens radicalisés, tout en essayant de maintenir une image lisse. Après on peut en faire l’analyse que l’on souhaite, mais ces militants sont tellement extrémistes et obsédés que personne ne peut réellement porter leur voix… Si ?
Pour ce qui est des ZAD, c’est encore autre chose, elles se revendiquent complètement en dehors du monde, c’est un espace de « non-droit auto-géré » ! Concernant « Dernière Rénovation », les militants ont un profil plus bobo, ce sont des cadres, avec beaucoup de femmes. Et, ils le disent eux-mêmes, il n’y a que « des blancs entre 25 et 35 ans » ! Les « Soulèvements de la Terre » sont aussi très bobos, avec beaucoup de travailleurs du monde associatif, des journalistes, des diplômés d’HEC, etc. La plupart des militants que j’ai côtoyés pendant mon enquête étaient cultivés, éduqués, alors que pour la ZAD, c’est un peu plus varié ; on trouve des jeunes qui ont fait des études, qui sont intellectuels et qui sont là pour « le kiff ». Chez « Urgence Palestine », il y a beaucoup de personnes issues de la culture arabo musulmane, ils organisent leur recrutement dans les mosquées, des tours solidaires pendant le ramadan… Sociologiquement, dans les mouvement infiltrés, il y a aussi des enseignants, des militants décoloniaux, des marxistes et des jeunes étudiants qui étudient en Lettres, en Sciences Sociales… ça reste un milieu où beaucoup de gens sont issus des sciences humaines, de l’art…
Ce que je retiens de mon enquête, c’est la convergence des luttes entre des sensibilités politiques qui n’ont rien à voir, voire qui s’opposent. Il peut y avoir autour d’une même table un islamiste prônant le séparatisme musulman, des militants marxistes, des écolos révolutionnaires antisystème et des féministes. « Urgence Palestine », à l’approche des élections européennes, n’a donné aucune consigne de vote – probablement pour éviter la fragmentation des idéologies.
La plupart de ces organisations sont « gazeuses » et financées par d’autres associations officielles, analysez-vous.
Du point de vue des financements, l’extrême-gauche est vraiment maligne. Beaucoup font en sorte de ne rien déclarer, de rester dans une organisation floue. « Les soulèvements de la Terre » par exemple, sont très opaques, car n’importe qui s’en revendiquant membre, le devient. Et en effet, une association, « Les Amis de la Terre », me semble-t-il, leur permet de recevoir des dons. « Urgence Palestine », c’est la même chose, ils n’ont pas d’existence légale. Ils reçoivent des dons grâce à « La Palestine nous rassemble », laquelle est de plus reconnue d’intérêt général. Elle permet donc d’émettre des reçus fiscaux quand elle perçoit des dons, et donc c’est un manque à gagner pour l’Etat, car c’est déduit des impôts de financer un réseau pro-Hamas… Il y aussi « Dernière Rénovation », qui utilise « Génération Mobilisation », reconnue elle aussi d’intérêt général. Grâce à cette association prête-nom, les militants ont pu louer des locaux en face de l’Hôtel de Ville, ils jouissent de dons défiscalisés et ça ne pose de problème à personne ! Je rappelle que l’essentiel de leurs actions sont pourtant illégales. Ils critiquent le système qui les nourrit.
En plus de convergence de luttes, vous parlez d’« atomes idéologiques crochus ».
D’une manière générale, il y a une haine de l’Occident et une volonté de déstabiliser l’État dans ces mouvements d’extrême gauche.
La haine anti-police est très présente dans ces mouvements, les idées révolutionnaires aussi.
Les féministes pensent qu’elles ont un « privilège blanc », et qu’il faut l’exorciser. C’est un terrible refoulement de soi, par la discrimination positive. Il y a une réelle culpabilité. Le pire est que tous se retrouvent dans le même panier, ils s’utilisent entre eux, leurs moyens sont équivalents, mais pour des intérêts radicalement différents, voire opposés.
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