L’artiste, née en 1935 à Lisbonne au Portugal, est décédée le 8 juin. Le pays, qu’elle avait fui sous Salazar, vient de décréter une journée de deuil national. Ses œuvres, de style réaliste ou fantastique, féministes, parfois cruelles ou choquantes, font référence aux contes traditionnels du pays et sont teintées d’érotisme… L’artiste faisait partie des artistes contemporains les mieux cotés et avait été anoblie par la Reine d’Angleterre.
Le Portugal est en deuil depuis hier et en particulier la ville de Cascais, car c’est dans cette célèbre station balnéaire prisée des Lisboètes que se trouve la Casa das Histórias Paula Rego, une étrange pyramide aztèque de béton rouge entourée de jardins luxuriants. La galerie, ouverte en grande pompe en 2009, est l’une des rares à être entièrement consacrée à un seul artiste de son vivant.
Une artiste très influente
Le président de la République portugaise, Marcelo Rebelo de Sousa, possède une maison de village à deux pas et s’est déjà exprimé sur la “perte nationale” que représente le décès de l’artiste-peintre portugaise et britannique. Elle vivait principalement à Londres où elle avait fui le Portugal de Salazar et où elle fut élevée au rang de Dame Paula Rego par la Reine, en 2010. De l’autre côté de l’unique frontière dont dispose le Portugal, une exposition lui est actuellement consacrée au Musée Picasso de Malaga. C’est dire l’influence de l’artiste dans la péninsule ibérique et de par le monde.
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La peinture de Paula Rego nous plonge dans les rêves surréalistes et à la limite du cauchemar de la femme portugaise du milieu du XXe siècle. Elle rêve de tout ce qui la concerne et l’entoure : son corps, ses fantasmes, les bals populaires, les animaux de la ferme, la famille, la mort qui rôde, le foyer, le labeur… Tous se retrouvent ensemble sur la toile dans un carnaval fantastique, souvent grotesque.
Portugal lascif, érotisme contenu
Les hommes y font ce qu’ils peuvent, fatigués et timides, presque étouffés. Les femmes, en revanche, y sont fières et libres, même lorsqu’elles dévoilent leurs fragilités. Elles doivent simplement faire avec ces monstres de conte de fées qui reviennent régulièrement les narguer, marionnettes aux formes animales ou poupées de chiffon hantées depuis l’enfance. Loin derrière, un crucifix ou un personnage mythologique rappelle régulièrement le poids de l’Église et des traditions.
La lumière n’est jamais bien forte : dans les campagnes portugaises, on se cache du soleil dont on se méfie. Les journées sont lascives et poussiéreuses, d’un érotisme contenu. Mais la nuit, les âmes s’apaisent et se libèrent sous le feu tranquille de la lune et des étoiles. Le village est bien vivant, chacun met la main à la pâte. Enfin, chacune, plutôt, car le village, ce sont les femmes. Celles qui lavent, cousent et habillent les enfants et les hommes. Il ne faut pas la leur faire : ici, c’est leur domaine. Leurs songes cohabitent avec leur réalité quotidienne.
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C’est un monde cruel et magique dont on ne sait si on voudrait y vivre ou le fuir. Paula Rego peint le Portugal qu’elle voit et qu’elle veut. C’est une artiste amazone, portant fièrement sa féminité rugueuse en armure. Son œuvre est charnelle et sans concession mais elle demeure énigmatique, sans doute pour préserver le mystère sacré des contes qu’elle nous chuchote à l’oreille. Avec ce regard espiègle et provocateur qui la caractérise.
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