Le poème du dimanche.
André Breton avait estimé, à la lecture de Tendres Stocks que Paul Morand était « surréaliste par la métaphore. » Adoubement étrange si l’on y songe : Morand le réactionnaire apprécié par Breton le révolutionnaire… C’est sans doute que Morand réussit en littérature ce paradoxe qui consiste à être un réactionnaire absolument moderne, qui saisit parfaitement l’esprit de son temps, cette couleur chromée et joyeuse de la France et du monde en 1925 oubliant les horreurs de la guerre dans un enivrement constant par le jazz, la vitesse, le cinéma, la peinture ou la haute couture qui change la silhouette des femmes.
La partie poétique de l’œuvre de Morand enregistre cette modernité, la métabolise, ce qui donne ces joyaux dont les titres Lampes à Arc, Feuilles de Température, Vingt-cinq poèmes sans Oiseaux indiquent déjà un projet de sortie du vieux lyrisme pour mieux dire les métamorphoses de la beauté qui tient non plus aux choses elles-mêmes, mais au regard que l’on apprend à porter sur elles. Oui, une ville peut être belle mais on peut aussi être ému par des statistiques comme dans le poème que nous vous proposons le dimanche.
Un baiser
abrège la vie humaine de 3 minutes,
affirme le Département de Psychologie
de Western State College,
Gunnison (Col).
Le baiser
provoque de telles palpitations
que le cœur travaille en 4 secondes
plus qu’en 3 minutes.
Les statistiques prouvent
que 480 baisers
raccourcissent la vie d’un jour,
que 2 360 baisers
vous privent d’une semaine
et que 148 071 baisers,
c’est tout simplement une année de perdue.
Paul Morand