Le président rwandais accuse une nouvelle fois la France d’être impliquée dans le génocide qui ensanglanta le Rwanda au printemps 1994. Rien de nouveau : en 2004 déjà, après que l’enquête d’instruction du juge Bruguière l’eût désigné comme responsable de l’attentat du 6 avril 1994 ayant déclenché le génocide, Paul Kagame avait demandé l’ouverture d’une commission indépendante pour déterminer l’étendue de la responsabilité de la France dans le déroulement de ces événements.
Mais aujourd’hui, les termes ont changé. Le président rwandais, anglophone strict élevé en Ouganda, parle de participation directe et active de l’armée française au génocide de 1994 qui fit plus de 800 000 morts en 100 jours, chez les tutsis du Rwanda, mais aussi chez les hutus modérés.
« After all…after all, les faits sont têtus. » À la tribune du stade de Kigali, devant plusieurs milliers de personnes et la chaise vide de l’ambassadeur de France, l’homme de fer de ce petit pays des milles collines, vient, en français, d’accuser l’armée française d’avoir combattu aux côtés du Hutu Power, et d’avoir pris part aux massacres.
Comment, dans ces conditions, ne pas se réjouir que ni Christiane Taubira, ni Michel Flesch, ambassadeur de Franche à Kigali, ne se soient rendus aux célébrations ? « Revenir sur la responsabilité de la France, c’est une chose. Accuser la France de façon directe et précise d’être les coauteurs de ces crimes, c’en est une autre. C’est infamant, ignoble et faux. », explique Rony Brauman, ancien directeur de Médecins sans frontières présent au Rwanda en 1994.
C’est à l’heure où tous les projecteurs sont braqués vers Kigali que l’homme à la silhouette longiligne détourne habilement le regard de la communauté internationale de ses propres responsabilités. En accusant la France, en saisissant cette tribune qu’est le vingtième anniversaire du génocide rwandais, le président Kagame tente de faire oublier ses agissements. Car beaucoup de voix s’élèvent contre ce quasi-dictateur, ce « prétorien à sang froid », selon l’expression du journaliste Vincent Hugeux. « Kagame est un expert dans l’instrumentalisation du malheur des siens. Longtemps, la communauté internationale n’a rien osé dire, tant elle se sentait coupable d’avoir laissé une telle horreur arriver. Il a longtemps bénéficié d’une diplomatie dérogatoire. »
Liberté d’expression muselée, dissidence emprisonnée, Kigali n’a jamais été aussi isolée. Même les Etats-Unis, l’allié de toujours, semblent refroidis par les dérives du président. Les relations avec les Etats africains sont tendues : ainsi l’Afrique du sud a subitement expulsé quatre diplomates rwandais après l’assassinat le 31 décembre 2013 du colonel Patrick Karegeya, un opposant en exil.
Le « miracle rwandais » ne suffit plus à masquer le régime mis en place par Paul Kagame depuis son élection en 2000. Pour Rony Brauman « le président du Rwanda est un tyran sanguinaire qui assassine et enferme ses opposants, et a qui saccage la région du Kivu en République Démocratique du Congo par l’intermédiaire de ses milices. Cela en fait l’un des criminels les plus sanglants de l’Afrique, au moins autant que le président soudanais Omar el-Bechir ».
C’est en France que Jean-Marie Micombero, ancien haut gradé du Front patriotique rwandais, a choisi de s’exprimer. Il accuse Paul Kagame d’être l’instigateur de l’attentat du 6 avril 1994. Son témoignage crucial sur les événements, repris par Pierre Péan dans les pages du journal Marianne, n’a rencontré que peu d’échos. Il contredit en partie les conclusions de la seconde enquête d’instruction menée par les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux. Selon le journaliste auteur en 2005 d’une enquête à charge contre le régime du FPR de Kagame, Noires fureurs, blancs menteurs, il n’y a pas, comme on l’entend aujourd’hui, d’incertitude sur l’origine de l’attentat qui coûta la vie au président rwandais de l’époque, Juvénal Habyarimana, et fut l’étincelle qui transforma le pays en abattoir. « C’est Paul Kagame et le FPR qui ont commandité cet attentat dans l’espoir de prendre le pouvoir qu’ils n’auraient pu gagner démocratiquement, étant issu de la minorité tutsie. Bien évidemment, ils n’avaient pas prévu l’ampleur du désastre, mais ils savaient qu’il y aurait des dommages collatéraux. » Aujourd’hui, plusieurs témoignages viennent accréditer cette version des faits, et menacent de faire exploser la légitimité sur laquelle est basée le régime de Paul Kagame.
Pour répondre à ces accusations, le président emploie les méthodes dignes des anciens régimes communistes : emprisonnement, comme pour l’opposante Victoire Ingabire condamnée à 8 ans de prison, ou accusations de négationnisme, comme pour le journaliste Pierre Péan et beaucoup d’autres de ses adversaires.
Le développement économique spectaculaire du pays reste la grande réussite de Kagame. Mais à quel prix le Rwanda, politiquement et socialement étranglé, est-il devenu le « dragon de l’Afrique »?
*Photo : Ben Curtis/AP/SIPA. AP21550758_000014.
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