À l’occasion des journées du patrimoine, la question du financement de l’entretien de nos trésors nationaux revient une fois de plus sous les feux de l’actualité. L’exemple de la Gare du Nord à Paris a divisé journalistes, intellectuels et architectes… Faut-il y laisser s’installer autant de commerces ?
Ces derniers jours ont été l’occasion d’un véritable règlement de comptes entre architectes par tribunes de presse interposées. Plusieurs d’entre eux, dont certains grands noms du secteur, sont montés au créneau pour dénoncer le projet de rénovation de la gare du Nord qu’ils jugent « indécent et inacceptable ». Principal motif de leur indignation, l’augmentation de la surface destinée aux commerces et le risque d’une dégradation de l’œuvre de l’architecte d’origine, Jacques Ignace Hittorff.
A écouter sur Sud Radio: l’éditorial d’Elisabeth Lévy sur le projet de transformation de la Gare du Nord.
Contre-attaque dans les jours suivants des architectes porteurs du projet qui rappellent qu’aucune « défiguration » de la gare n’est à craindre, puisque la façade historique sera préservée et restaurée dans son état d’origine et que si la gare du Nord va bel et bien tripler de volume, c’est d’abord en construisant autour et à côté du monument historique, en l’insérant dans un espace plus moderne et adapté aux besoins de la 1re gare européenne. Une attention particulière a d’ailleurs été accordée à la grande halle datée du XIXème siècle, qui devrait être débarrassée « des mezzanines et des scories architecturales accumulées au fil du temps » selon les architectes du projet. Mais sur la question de l’augmentation de la surface commerciale, les défenseurs du projet sont bien obligés d’admettre que celle-ci aura bien lieu, même si rapportée au nombre de voyageurs, elle sera « nettement inférieure à celles des autres gares parisiennes transformées », comme Austerlitz ou Montparnasse.
Gare de Nord – SynchroInCity from Jean-Charles Dampenon on Vimeo.
Furieuses controverses
Une polémique qui est finalement un combat d’arrière-garde, certains caciques de l’architecture n’ayant pas pris la mesure des changements et des transformations désormais actés dans l’univers patrimonial : l’opposition entre « préservation des monuments historiques » et « introduction de commerces » est largement dépassée. On pense évidemment aux débats qui entouraient l’édification de la Tour Eiffel à la fin du XIXème siècle, mais aussi au projet du Grand Louvre des années 1980, qui prévoyait de rénover le musée tout en le modernisant en ajoutant de nouveaux éléments architecturaux (la désormais incontournable Pyramide du Louvre) et une galerie commerciale, le carrousel. On oublie à quel point à l’époque, ces éléments de transformations suscitaient déjà la furie d’une partie des architectes et des journalistes.
Mais aujourd’hui, l’introduction de surfaces commerciales dans des monuments du patrimoine est courante, car c’est bien souvent une nécessité économique.
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Pour comprendre la tendance ; il suffit de citer un chiffre : 3 % du budget du Ministère de la Culture est destiné au « patrimoine monumental », budget qui représente lui-même 2 % du budget de l’État. 326 pauvres petits millions d’euros pour entretenir le patrimoine d’une nation vieille de 1500 ans, c’est un peu léger ! On peut d’ailleurs déplorer la répartition des budgets de la rue Saint-Honoré, dont une bonne partie des fonds sont engloutis dans le tonneau des Danaïdes de l’audiovisuel public. Le patrimoine ne peut plus compter sur l’État pour financer son entretien ou sa rénovation.
Le privé à la rescousse
Faute de pouvoir compter sur la puissance publique, les grands monuments n’ont qu’une seule option, miser sur le privé. Ils peuvent d’abord compter sur des sources de financement « externes », avec le mécénat. La Fondation du Patrimoine permet ainsi de soutenir près de 20 000 projets de rénovation par an, avec un milliard d’euros annuels de dons. Et bien évidemment, pour de nombreuses entreprises, c’est une manière de soigner leur image tout en défiscalisant.
Mais ces sources de financement « externes » sont souvent aléatoires et risquées : sur les 19 millions d’euros investis pour la restauration du dôme du Panthéon, seuls 65 000 euros ont pu être réunis via le mécénat. La tendance de fond, appuyée d’ailleurs par le gouvernement, c’est de trouver des sources de financement « internes ». Comme le souligne France Culture dans un article de 2017, « il s’agit de rendre les monuments plus rentables afin qu’ils se suffisent à eux-mêmes. ».
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C’était le pari du Musée du Louvre avec son carrousel, mais aussi par exemple celui de l’hôtel de la Marine qui propose désormais 7000 mètres carrés de bureaux, ou demain celui d’une gare du Nord restaurée et réhabilitée, mais dotée en son sein de dizaines d’enseignes de commerce.
Un difficile équilibre
Une introduction de la sphère marchande dans de tels monuments ne doit évidemment pas se faire au détriment de l’héritage patrimonial. Mais en France, de nombreuses institutions publiques sont chargées de veiller à la préservation de ces trésors historiques, comme les Commissions régionales du patrimoine et de l’architecture. Enfin et surtout, il ne faut pas sous-estimer les vertus du marché. Il n’est pas dans l’intérêt des gestionnaires d’un monument historique de le dégrader en introduisant « trop » de commerces. Ces acteurs économiques cherchent par eux-mêmes à trouver un équilibre entre l’introduction de nouvelles sources de financement et la préservation de l’attrait initial des lieux pour attirer des visiteurs.
Les débats autour de la gare du Nord et l’introduction de commerces dans un bâtiment historique sont donc dépassés. Reste une question à se poser : comment fait-on pour les petits monuments méconnus du grand public ou les ouvrages religieux. Eux ne peuvent pas devenir « rentables ». C’est le sens du Loto du Patrimoine organisé par Stéphane Bern depuis quelques mois, mais cela sera-t-il suffisant à long terme ?
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