Au moment où sort un coffret regroupant six films de Cheyenne-Marie Carron, il est important de revenir sur le parcours ce cette jeune cinéaste talentueuse et sur son nouveau film Patries qui n’est malheureusement sorti que dans une seule salle à Paris, le Balzac [1. Cinéma Le Balzac, 1 Rue Balzac, 75008 Paris, 01 45 61 10 60.]. Depuis plus de dix ans, Cheyenne-Marie Carron tourne des films inventifs et très personnels, à des années-lumière de la médiocrité de la plupart des productions françaises contemporaines. Lorsque j’ai vu son beau film La Fille publique (2013) qui raconte sa propre histoire, j’ai pensé qu’une cinéaste qui osait afficher au mur de la chambre de son personnage principal, Yasmine, une fille de l’assistance publique, un drapeau français et une affiche de La 317éme section était une jeune femme qui n’avait pas froid aux yeux.
Après avoir réalisé L’Apôtre (2013), film sidérant, rempli d’audace tant du point de vue scénaristique que du point de vue formel, qui raconte l’histoire de la conversion d’un jeune homme musulman au catholicisme, Cheyenne-Marie Carron affronte avec Patries la question du racisme et de l’appartenance. Patries est l’histoire de Sébastien, un jeune garçon blanc qui emménage avec ses parents dans une banlieue parisienne composée de petits pavillons et de barres d’immeubles, majoritairement habitée par une population issue de l’immigration africaine. Sébastien, ouvert, vif et curieux mais aussi fier et têtu se comporte sans aucun préjugé. Il veut se faire de nouveaux amis comme il en avait en province. Il rencontre Pierre, un jeune garçon noir, un peu perdu, avec qui il sympathise très vite. Tous deux arpentent le quartier en plaisantant, en discutant, en se charriant , à pied ou en skate board, ce qui donne l’occasion de splendides travelling. Mais très vite l’idylle se gâte lorsque Pierre présente Sébastien à ses potes africains. Mamadou, un colosse fier et arrogant, refuse de le saluer parce qu’il est blanc, entrainant dans son sillage certains des autres jeunes gens. Mais Sébastien est déterminé à se faire adopter par le groupe des jeunes noirs. La scène où il va jouer au football avec eux est l’une des plus belles du film : tout en tirant au but, un à un les jeunes hommes noirs se mettent torse nu, révélant la beauté de leur corps, comme des sculptures d’ébène. Sébastien, à son tour, enlève son chandail et malgré son allure sportive, semble gringalet tant sa peau d’albâtre – dévoilant des tatouages, croix pour l’appartenance au christianisme et chiffres rappelant étrangement ceux des juifs dans les camps nazis – le désigne comme un intrus.
Mais le pire est à venir. Sébastien est témoin d’un accident : Mamadou et son ami renversent avec leur moto un homme blanc et s’enfuient. Quand l’affaire s’ébruite, Mamadou et sa bande, croyant que c’est Sébastien qui a parlé – en fait c’était Pierre – rouent de coups le jeune Blanc. Au terme de son chemin de croix, dans une séquence doloriste portée par la beauté des chants et de la musique de l’Anima Christi, Sébastien rentre chez lui, portant sur son corps les stigmates de la violence raciste.
Alors s’ouvre un deuxième chapitre du film où l’on suit les rapports de Pierre avec sa mère et ses deux sœurs. Cheyenne-Marie Carron filme avec amour et tendresse cette famille originaire du Cameroun que fait vivre avec une volonté exemplaire la mère, Victoria, parfaitement intégrée dans la société française comme le sont les deux sœurs, dont l’une attend un enfant d’un jeune homme blanc. Les scènes de repas et de discussions entre eux ou avec leur voisine, abordant les questions de double appartenance, de sexisme, d’amour de son pays, de sa patrie, ou de celui qui les accueille, de la possibilité ou non du vivre ensemble, de voyages et de différences culturelles, sont traitées avec intelligence, finesse et un profond respect des convictions de chaque personnage, donnant à ce film audacieux et courageux un contenu politique sans ambigüité.
Il n’y a que deux solutions possibles : l’intégration réussie dans la nouvelle patrie ou le retour volontaire dans le pays d’origine [2. Il s’agit bien ici d’intégration ou retour réussi. Le bonheur étant une autre question certes liée, mais aussi dépendante de beaucoup d’autres paramètres.]. Ce choix, personnel et profond, dépend des personnes concernées et non pas de telle ou telle politique. C’est ainsi que Pierre décide de regagner son pays d’origine pour y vivre, travailler et y bâtir sa vie. Avant de partir pour le Cameroun, soutenu par tous, il vient demander pardon à Sébastien qui sort de son isolement et retrouve la bande de Mamadou en s’imposant, sur le terrain de football.
Cheyenne-Marie Carron, elle, s’impose comme une cinéaste à la fois implacable – elle ne laisse rien passer des comportements racistes ou machistes du groupe ou de Pierre, ni du ressentiment de Sébastien – et charitable à travers l’amour et la tendresse de son regard sur Pierre et sa famille, ainsi que sur la petite bande, dans ces belles scènes justes et drôles où ils parlent de football.
Patries de Cheyenne-Marie Carron, avec Jackee Toto, Augustin Raguenet, Sylvia Homawoo, Sandrine Salyeres.
Renseignements pour l’achat des DVD à l’unité ou dans un beau coffret sur le site de Cheyenne-Marie Carron.
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