Dans son dernier ouvrage, Immigration : ces réalités qu’on nous cache, l’ancien préfet de la Gironde et conseiller d’État, Patrick Stefanini, dresse un constat inquiétant de la gestion de l’immigration en France depuis 20 ans.
« Le risque que l’immigration ne soit synonyme d’un échec français est désormais très grand » postule Patrick Stefanini dans son livre Immigration : ces réalités qu’on nous cache. Pourtant, « ça n’a jamais été le dossier au-dessus de la pile pour les gouvernants, mis à part sous Sarkozy entre 2007 et 2010 ! », a déploré l’ancien conseiller d’État lors d’une visioconférence (Covid oblige…) organisée le mardi 15 décembre par l’Institut Thomas More[tooltips content= »L’institut Thomas More est un club de réflexion européen et indépendant basé à Bruxelles et Paris fondé en 2004, influent dans les domaines concernant les enjeux européens. »](1)[/tooltips].
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La mansuétude sur la période 2007-2010 est certainement due au fait que Patrick Stefanini fût secrétaire général de l’éphémère ministère de l’immigration pendant cette période. Mais son livre délivre quant à lui une analyse objective et chiffrée de l’ampleur du phénomène migratoire. Un travail difficile, car l’auteur nous informe que « la France ne tient pas de registre de population comme les pays d’Europe du Nord comme la Norvège ou le Danemark », ce qui complexifie considérablement la tâche.
Un flux migratoire à la hausse en France depuis 2000
L’immigration explose depuis les années 2000. Le nombre de titres de séjours accordés s’élève à 274 000 en 2019, contre 149 000 en 2000. Pour les demandes d’asile et le nombre de mineurs isolés, même explosion : moins de 40 000 demandes d’asile en 2000, contre plus de 140 000 en 2019, et 5 000 mineurs isolés recensés en 2014 contre 40 000 fin 2018. La France a perdu le contrôle, alors que la Suède, le Danemark, l’Italie ou l’Allemagne ont eux connu « une baisse spectaculaire des demandes d’asile (depuis la fin de la crise migratoire de 2015) », a rappelé Patrick Stefanini lors de la visioconférence.
Plus difficile encore à quantifier : le nombre de clandestins sur le territoire. « Traditionnellement on estime le nombre de clandestins avec le nombre de bénéficiaires de l’AME (Aide Médicale d’État), qui est passé d’un peu moins de 180 000 en 2005, à plus de 330 000 en 2019 », explique Patrick Stefanini lors de son intervention à l’institut Thomas More. Il faut de plus savoir qu’une part conséquente des clandestins ne demande pas l’AME pour ne pas être repéré par l’administration. En Seine-Saint-Denis, un rapport parlementaire déposé le 31 mai 2018, écrit par les députés François Cornut-Gentille (LR) et Rodrigue Kokouendo (LREM), a avancé qu’il fallait multiplier par trois le nombre de bénéficiaires de l’AME pour connaître le nombre réel de clandestins présents sur le territoire. Résultat, Patrick Stefanini estime dans son livre que le nombre de clandestins en France « se situe entre 600 et 900 000 ».
De nombreux démographes nient l’ampleur du phénomène migratoire et mettent en avant le solde migratoire très faible de la France, « autour de 50 000 par an » précise Patrick Stefanini à l’institut Thomas More. Mais l’ancien directeur de campagne de Jacques Chirac en 1995 rappelle « qu’il faut distinguer le solde migratoire des immigrés avec le solde migratoire global. » En 2006 le solde migratoire des immigrés était de 164 000, contre 191 000 en 2017. Une forte progression qui montre bien que le nombre d’immigrés présents sur le territoire français augmente. Stefanini ajoute : « Compte tenu des chiffres des titres de séjours accordés depuis 2017, ce chiffre a encore progressé. »
Un plan d’action en quatre volets
Lors de la conférence , Patrick Stefani a livré son plan d’action pour freiner le phénomène. Il est divisé en quatre parties : le renforcement du contrôle des frontières de l’Union européenne, une limitation du nombre de titres de séjour délivrés chaque année en France, une réorientation complète de notre aide au développement et une politique d’intégration plus exigeante.
Pour réduire de façon importante le nombre de visas, Patrick Stefanini préconise l’instauration d’un système annuel de quotas à l’image du Canada ou de l’Australie, « pour adapter notre flux migratoire à notre marché du travail et nos capacités d’intégration ». Il a rappelé la « mutation profonde de l’immigration familiale », alors que le regroupement familial stricto sensu est devenu minoritaire. « Ce qui fait aujourd’hui l’essentiel de l’immigration familiale ce sont des Français qui épousent des étrangers et les font venir en France, nous privant de moyens de contrôle car le droit au mariage est constitutionnel. » Pour parvenir à une limitation drastique de ce phénomène, il propose d’introduire un contrôle sur le degré d’assimilation de ces candidats à la carte d’identité française, rappelant que pour le moment leur assimilation est « présumée » et leur permet d’obtenir le précieux sésame.
Chaque année la France régularise environ 30 000 clandestins
Réguler l’immigration légale est un sujet, faire baisser l’immigration illégale en est un autre. « Chaque année la France régularise environ 30 000 clandestins » rappelle l’ancien proche d’Alain Juppé, soit plus de 10% des titres de séjour accordés. Pour mettre fin à notre impuissance, au-delà de la mise en place d’un processus d’éloignement des déboutés plus efficace, Patrick Stefanini propose d’obliger les demandeurs d’asile à faire leurs demandes depuis nos consulats à l’étranger, ou à la frontière française. Pour faire appliquer ces prérogatives, l’Europe comme la France doivent contrôler les entrées sur le territoire. « Bien protéger les frontières extérieures de l’Europe est la priorité », affirme-t-il. « Environ 20% des étrangers qui pénètrent dans le territoire de l’UE ne sont pas connus par les autorités européennes (…) La seule réponse réside dans l’interconnexion des fichiers de police des États membres et dans l’utilisation des techniques d’identification numérique et biométrique », conclut-il.
Enfin, la situation de certains pays de l’Afrique subsaharienne et du Maghreb, en proie à l’instabilité et à la pauvreté, fait craindre une explosion de l’immigration dans les prochaines années, qui toucherait fortement la France. En conséquence, la France devrait axer ses aides au développements vers ces pays, et les faire dépendre de leur gestion des flux des ressortissants candidats à l’exil. La France doit également remettre en cause les accords bilatéraux qui « privent le législateur d’influence sur la moitié des immigrés » et encouragent les flux, notamment ceux des pays du Maghreb. Les Algériens peuvent par exemple bénéficier de mesures dérogatoires concernant les lois sur les titres de séjour.
Seule cette remise en cause globale permettrait de sortir de l’ornière. Car l’immigration, comme bien d’autres choses, est « à consommer avec modération. »
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