Dans Nouvelle Vague, roman (Grasset), Roegiers se fait le chroniqueur d’un certain cinéma français, désinvolte, frondeur, insolent et novateur.
C’est l’été. On lâche prise. Un bon roman ou un bon film ? Et pourquoi pas les deux ? C’est, en quelque sorte, ce que nous offre Patrick Roegiers, auteur de nombreux romans et essais. Il nous propose de passer en accéléré les cinéastes de la Nouvelle Vague et plus encore, de sauter la digue, et de nous rappeler quelques grands metteurs en scène plus classiques. Son livre est un régal de lecture, avec de drôles anecdotes sur le monde du cinéma français. Ça commence à la fin des années 50. De jeunes « flibustiers » décident de renverser la table et de renvoyer aux rayons des accessoires le cinéma de papa qui refuse de tourner dans la rue et de porter une chemise blanche, et respecte à la lettre des dialogues de théâtre manquant de naturel. C’est la version « cinématographique » de la querelle des Anciens et des Modernes. La réalité doit entrer dans les films. Dont acte. Même si on est en droit de penser que la littérature et le cinéma sont des interventions sur le monde, et non une fenêtre ouverte sur le monde. Il convient de le faire et non de le représenter. Roegiers résume l’entreprise des skippers du 7e Art : « Ils ont un goût prononcé pour l’imprimé (imprimer, c’est s’exprimer) et un don assumé pour la polémique (éruption de la théorie). Ils sont critiques, sans être vraiment journalistes. Ce sont des ‘’plumitifs’’, sans caution littéraire. Insolents mais pas très bons vivants, ils ne parlent pas de la vie personnelle. Ce qui est privé ne les intéresse pas. Seul compte le cinéma. » On retrouve au fil des pages : Agnès Varda, Alain Resnais, Louis Malle, Jean-Luc Godard, François Truffaut, Claude Chabrol, Éric Rohmer… Mais également leurs acteurs et scénaristes fétiches. On a même droit à leur taille ! Godard paraît être le plus habité par le cinéma. Il veut donner à voir ce qui est simple, c’est-à-dire ce qui est le plus compliqué à réaliser. Il s’adresse directement au spectateur conformiste : « Si vous n’aimez pas la mer, si vous n’aimez pas la montagne, si vous n’aimez pas la ville, allez-vous faire foutre. » Des embruns en pleine figure.
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Godard est plus fantasque que Truffaut. L’obsession du réalisateur des Quatre Cents Coups, c’est la femme, leurs jambes en particulier. Roegiers écrit : « C’est un cavaleur aguerri, amoureux fébrile et transi, épistolier insistant, Pygmalion empressé et prévenant. Il adore les femmes, pas toutes, seulement celles qui lui plaisent et tournent dans ses films et, de préférence, celles qui ont de grandes bouches. » Fanny Ardant ne démentirait pas.
La Palme d’or revient au chapitre consacré à Alain Resnais. Peut-être parce qu’il invente le monde, justement, et qu’il lui donne une signification propre. L’Année dernière à Marienbad n’est pas tourné à Marienbad. La ville n’existe pas. Elle n’est sur aucune carte. L’ombre des personnages figés est peinte sur le sol, indépendante de la courbe du soleil, donc. Les statues sont en papier mâché. C’est un rêve. « L’Atlantide du songe », précise Roegiers, inspiré. Normal, direz-vous, puisque le scénario est signé Alain Robbe-Grillet.
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Lorsque l’auteur évoque les réalisateurs restés sur la grève, comme par exemple Claude Sautet ou Maurice Pialat, on se dit que leurs longs-métrages nous touchent davantage et supportent mieux le regard du temps. Le ressac les a, semble-t-il, davantage épargnés. L’émotion suscitée par la scène finale de César et Rosalie est aussi intemporelle que la fameuse tirade de Hamlet.
Patrick Roegiers, Nouvelle Vague, roman, Grasset.
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