Patrick Pécherot, comme une machine à remonter le temps


Patrick Pécherot, comme une machine à remonter le temps

Patrick Pécherot Une plaie ouverte

Patrick Pécherot, tantôt sous la casaque noire, tantôt sous la casaque blanche réussit parfaitement, depuis une dizaine de romans, l’hybridation entre polar et roman historique. C’est la force de la littérature populaire et du mauvais genre de pouvoir tout se permettre en la matière. Naguère, pour évoquer le Paris d’entre les deux guerres mondiales, il avait choisi des intrigues fouillées qui nous présentaient les milieux libertaires et surréalistes des années 20 dans Les Brouillards de la Butte, où émergeait les silhouettes de Breton et d’Artaud, mais aussi les contrecoups de la guerre d’Espagne en France dans Belleville Barcelone, et dans Boulevards des Branques le Paris de 1940 en pleine débâcle où déjà s’affrontent dans la vacance du pouvoir les factions rivales et où commencent les règlements de compte[1. Ces trois romans viennent d’être réédités sous le titre La saga des Brouillards en Folio Policier, collection XL.].

La méthode Pécherot consiste, et c’est toujours assez réussi, à mêler des personnages réels à des personnages fictifs et des faits historiques à des intrigues parallèles, tant il est vrai que l’on continue à être jaloux, avide, amoureux avec nos misérables petits tas de secrets même quand la guerre fait rage, même quand une ville se couvre de barricades, même quand on espère des lendemains qui chantent L’Internationale et Le temps des cerises.

Dans Une plaie ouverte, son dernier roman, Pécherot nous ramène à la Commune par des chemins détournés puisque son roman commence au début du XXe siècle aux Etats Unis, dans le sillage du Buffalo Bill’s Wild West Show. Buffalo Bill, de son vrai nom Bill Cody, avait assez vite compris que la légende de l’Ouest était terminée et qu’il était temps d’en faire un spectacle pour les petits et les grands. C’est ainsi qu’on voit une Calamity Jane faire des prouesses au tir de précision avec sa Winchester à condition d’avoir juste la dose d’alcool qui lui suffit, ni trop, ni trop peu. Dans les coulisses de cette surproduction, un agent de la Pinkerton enquête pour le compte d’un commanditaire français. Il recherche un certain Dana qui aurait participé à la Commune de Paris il y a plus de trente ans. Ce Dana, habile de ses mains comme un prestidigitateur, et qui fuit obstinément les objectifs des premiers appareils photos, existe-t-il vraiment ? L’agent de la Pinkerton n’est sûr de rien même si on dit que Dana aurait été l’amant de Calamity Jane.

Pécherot nous fait ensuite revenir à la période de la Commune. Le narrateur, un certain Marceau, fait partie d’une bande assez joyeuse de bohèmes qui réunit au moment de la guerre de 70 une faune variée. Il y a ce jeune voyou androgyne, crasseux et lumineux dont on apprendra qu’il s’appelle Rimbaud. Il y a des généraux qui ont tout de têtes brûlées espérant un monde meilleur comme Cluseret qui s’est battu avec les yankees contre le Sud esclavagiste puis avec les indépendantistes irlandais contre les Anglais, qui a connu la prison et la condamnation à mort, mais reste loyal à la Commune et organise sa défense dès qu’il s’agit de choisir entre les Versaillais et ce peuple de Paris qui invente, pendant quelques semaines, une utopie concrète. On croise aussi, à la pension Laveur ou dans le restaurant coopératif d’Eugène Varlin, Courbet qui ne va pas tarder à faire mettre bas la colonne Vendôme, une certaine Manon dont on peut penser qu’elle a été le modèle du très scandaleux « L’origine du monde », Louise Michel, Jules Vallès, Maxime Vuillaume ou encore, précisément, ce Dana qui louche sur Manon. Parfois, ils sont rejoints par Verlaine, toujours entre deux absinthes, poète et employé municipal en compagnie d’un collègue, un certain Amédée.

Au fur et à mesure que la Commune perd du terrain et ce jusqu’à la Semaine Sanglante de juin 71, la bande se perd de vue. Devant les massacres versaillais, le gouvernement provisoire de la Commune, en désespoir de cause puisqu’il avait aboli la peine de mort, fait fusiller des otages rue Haxo. Parmi eux, le pauvre Amédée qui n’était coupable de rien. On apprend aussi que dans la confusion, un des derniers transferts de fonds opérés par la Commune depuis la Banque de France jusqu’aux mairies d’arrondissement, pour payer les soldes des gardes nationaux, a été attaqué du côté de Saint-Michel.

Marceau survit, lui, à la Semaine Sanglante et enquête dans le Paris de 1898 où après la loi d’amnistie, d’anciens communards devenus flics traquent d’anciens communards soupçonnés d’aider les anarchistes comme Ravachol, qui veulent faire sauter l’Assemblée Nationale. Drogué au laudanum, alors que se jouent les prémices de l’affaire Dreyfus, Marceau poursuit sa quête obsessionnelle de Dana, persuadé que c’est lui qui a commandité l’attaque des fourgons de la banque de France et fait fusiller le pauvre Amédée, témoin de ses turpitudes.

Bien sûr, dans ces méandres du temps, les apparences sont trompeuses. Pécherot, qui n’a jamais aussi bien écrit, à coup de phrases courtes, entêtantes, qui scandent la mélancolie du temps qui passe et des rendez-vous ratés de l’histoire et de l’émancipation, nous promène, dans tous les sens du terme, des grands espaces de l’Ouest américain aux dernières barricades de la Commune en passant par le Paris fin de siècle.

Et l’on finit par réciter les vers du jeune homme aux semelles de vents dans un saloon tandis que Courbet peint le sexe d’une femme, que Louise Michel encore institutrice apprend à lire à la future madame Verlaine et que l’on peut retrouver sur les premiers westerns documentaires américains aux images tressautantes, importés par Pathé, la silhouette d’un ami qui a trahi, d’un amour perdu, d’un idéal envolé.

Une plaie ouverte de Patrick Pécherot (Gallimard/Série Noire)

*Photo : Wikipedia.

Une plaie ouverte

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