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Patrick Eudeline, la provoc comme on l’aime

Le rockeur publie "Perdu pour la France" (Séguier, 2024)


Patrick Eudeline, la provoc comme on l’aime
Patrick Eudeline © Hannah Assouline

Patrick Eudeline est une sorte de Philippe Manœuvre un peu trop déglingué pour participer à un télé-crochet sur la 6. Notre ami publie Perdu pour la France (Séguier).


Photo de bébé Cadum sur fond rose bonbon, on pourrait prendre l’objet, de loin, pour une réclame pour des savons vintages. Mais non, le dernier livre de Patrick Eudeline, Perdu pour la France, n’est pas la petite chose mignonne qu’il parait être de prime abord. Enjambant les décennies, des années 60 à aujourd’hui, dans un fatras chronologique, le clochard céleste revient sur sa naissance au monde qui coïncide avec la naissance du rock en France.

Journaliste au magazine Best et chanteur et guitariste du groupe Asphalt Jungle, Patrick Eudeline est une sorte de Philippe Manœuvre un peu trop déglingué pour participer à un télé-crochet sur la 6. Dans son récit, on le découvre comme une bizarrerie sociologique. Jeunesse dans le VIème arrondissement, scolarité au Collège Stanislas, Patrick Eudeline nait dans une famille de la France moyenne, avec un père pas très dégourdi pour les affaires (ni pour écrire des chroniques dans la feuille de chou locale du RPR). L’OVNI social décrit son existence, tantôt au bras de telle grande bourgeoise, tantôt à la rue, tantôt dévalant en ski les pistes huppées de Suisse, tantôt escroquant les dentistes à coup de chèques en bois, s’échappant du cabinet avec une demi-dent rafistolée.

Le royaume du linoléum

Musicalement, le père a plutôt des goûts de chiotte (« Ne traînent à la maison qu’un vieux Marcel Amont (« ce vieux Bleu, blanc, blond » que j’ai toujours honni), un affreux François Deguelt (« Marjolaine »), un oublié d’Isabelle Aubret (« La Fanette »), la détestable « Bicyclette » du Montand, un Aznavour mineur et de peu d’intérêt »). Le goût familial pour le linoléum contraste avec les sublimes parquets cirés que l’on trouve chez les petits camarades de classe. La relation père-fils est de toute façon loin d’être mue par l’admiration réciproque. Un peu comme si Sheila (« Tandis que moi, qui ne suis rien/ Qu’une petite fille de Français moyen/ J’apprends chaque jour, en m’amusant,/ Que l’expérience vient avec le temps ») avait enfanté ce snob de Boris Vian (« Je ne fréquente que des baronnes/ Aux noms comme des trombones »). Napoléon se demandait s’il n’était pas plutôt le fils de Pascal Paoli, ou du gouverneur Marbeuf. Eudeline se demande aussi s’il est bien le fils de son père. Pour devenir empereur ou rockeur, il faut avoir des doutes sur la paternité de son paternel.

Eudeline est un enfant des années 60, suffisamment vieux pour avoir connu la messe en latin et la foi dans le progrès. « L’heure est à l’optimisme absolu ». Le garçonnet rêve de mégalopoles robotisés et de moutons électriques. À Stanislas, il met un peu de bazar, mais la sympathie des profs de lettres lui sauve la mise : « Vous m’auriez viré Rimbaud ! Je démissionne ». C’est l’époque où de Gaulle, autre ancien élève de Stan’, refuse d’embastiller Sartre, parce qu’ « on n’emprisonne pas Voltaire ». Plus tard, Patoche découvre les types louches, aux cheveux longs, du jardin du Luxembourg. Notre protagoniste s’en trouve à son tour attifé, de quoi éveiller les doutes du père quant à la possible homosexualité de son rejeton. Doute largement dissipé quand il met en cloque la fille d’un des clients de son père, « héritière d’une grande famille ».

Les cafards anglais et la rue Saint-Denis

On croise dans le livre plusieurs monstres du rock. Il y en a qu’il vaut mieux avoir en poster dans sa chambre que sur le canapé dans son salon. Sid Vicious, des Sex Pistols, et Nancy Spungen, aussi délurés que dans le film qu’Alex Cox leur a consacré, en mal d’argent et d’héroïne, par exemple. La compagne du rocker se lève d’un coup d’un seul et part se prostituer rue de Saint-Denis pour faire rentrer quelques billets. Mauvaise idée ! On ne vient pas disputer comme ça des parts de marché aux maquereaux déjà implantés dans le coin. Il faut la rattraper en taxi. Quant à Sid, il n’est pas long à sortir son cran d’arrêt.

Plusieurs décennies plus tard, Eudeline se retrouve en Angleterre chez Peter Doherty, queue de comète du mouvement rock (« Chanteur pop parmi les plus doués de sa génération. Certes, vu le niveau général, c’est là un compliment tout relatif. L’homme n’est pas un nouveau Ray Davies, mais plutôt un imitateur servile de cette lignée »). Dans l’appartement miteux au « spartiate décor » de l’ex de Kate Moss, les cafards mènent grand train. Eudeline évoque aussi une histoire de jeune homme tombé par la fenêtre, chez Doherty, à la fin des années 2000. Il y a parfois dans les placards des rockers des cadavres encombrants. L’auteur revient ailleurs sur une émission de France Culture, où face à Daniel Cohn-Bendit, il avait déclaré : « Vous aviez les cheveux trop courts pour être crédible. Vous en avez fait moins pour changer le monde et les mœurs qu’Antoine avec ses élucubrations ». On referme l’ouvrage en gardant la même idée que l’on se faisait du personnage : un échalas picaresque et talentueux, doté d’un certain sens de la provocation.

208 pages.

Perdu pour la France

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