« J’ai raté ma vie, j’aurais voulu être musicien », confia un jour Patrick Dewaere à Mado Maurin, sa mère. Il y a 35 ans, le 16 juillet 1982, l’acteur se tirait un coup de carabine fatal dans la bouche.
Quelques instants auparavant, sa femme Elsa lui aurait annoncé par téléphone qu’elle le quittait et qu’il ne reverrait plus jamais sa fille. Pour Christophe Carrière, auteur de la biographie Patrick Dewaere, l’écorché (Michel Lafon, 2017), c’est presque un détail : « Quand bien même Elsa aurait dit à Dewaere : « Plus jamais tu verras ta fille, je te quitte, je suis avec Coluche et basta ! » Quand bien même elle lui aurait dit ça, c’est pas une raison pour se suicider […] Donc non. Quoi qu’ait dit Elsa au téléphone, ça peut pas être ça qui ait déclenché le suicide. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, voilà, c’est le truc en plus, le petit truc qui fait que ça l’a achevé. » Pas un détail donc, un petit truc plutôt. Le journaliste, chroniqueur chez Hanouna, a tenu ces propos au micro de la RTBF, le 20 juin dernier.
Dewaere ostracisé
Cependant, Christophe Carrière a aussi dit des choses très justes dans la même émission, notamment au sujet de l’ostracisation pavlovienne de Dewaere par le landerneau médiatique, après que l’acteur eut réglé son compte – un peu virilement certes – à un journaliste qui l’avait trahi en annonçant publiquement son mariage imminent. Carrière rappelle que l’acteur aux six nominations pour les César n’avait plus aucune chance de recevoir le trophée après ce faux pas, survenu en 1980 : « Les gens n’ont pas voté pour Claude Brasseur mais contre Patrick Dewaere. Ça, c’est très Français. » Quelle légitimité peut avoir une Académie qui a refusé de récompenser à six reprises le talent hors normes de l’acteur légendaire ? La France…
Des chansons oubliées
Le personnage de Dewaere dans F comme Fairbanks le répétait : « Pays de con ! » Dans Les Valseuses, il éructait « France de merde ! ». Peut-être manquait-il à ce panégyrique le plus châtié « Nique la France ! » pour prétendre aux honneurs.
Aujourd’hui, les décideurs seraient bien inspirés de publier enfin l’œuvre musicale du comédien dans un bel écrin. Il n’est jamais trop tard pour bien faire, ou juste faire : les chansons de Patrick Dewaere n’ont encore bénéficié – depuis sa disparition – d’aucune valorisation officielle, d’aucune sorte. Pourtant des trésors de mélodies se nichent dans les enregistrements laissés par l’écorché, musicien méconnu.
Pianiste, guitariste et saxophoniste.
Acteur immense, Dewaere était aussi pianiste, guitariste et saxophoniste. De plus, des photos le montrent avec un accordéon, une trompette ou encore un psaltérion à archet, et ce ne sont pas des clichés tirés de films. Bercé par les chansons de Brassens, il déclare souvent pendant son adolescence qu’il aimerait plus tard s’exprimer au moyen de la musique et de la chanson, avec des mots et des notes venant de lui. En 1971, il enregistre un premier disque, T’es pas poli, en duo avec Françoise Hardy. Les paroles sont de Sotha (sa compagne de l’époque), il signe la musique. Cette pochade ne marquera pas les esprits.
Dans le film F… comme Fairbanks, on le voit jouer un thème qu’il a improvisé sur un piano mal accordé pendant le tournage. Le motif funambulesque ressemble au personnage : fragile, tragique et gracile, désaccordé à la vie. Cet instrumental aux accents de Satie aura les honneurs d’une publication en 45 tours chez EMI, en 1976.
Deux ans plus tard, Dewaere souhaite se consacrer à la musique et signe deux chansons originales : « L’Autre » et « Le Policier », face A et face B d’un nouveau 45 tours. Ce sera le dernier. « L’Autre » possède la douceur tourneboulée des meilleures désabusions de Nino Ferrer (Chanson pour Nathalie, La maison près de la fontaine, etc.). « Le Policier » évoque également Ferrer, mais celui plus débridé des productions rhythm and blues et jazzy.
Sur les échecs commerciaux de ses disques, Dewaere se contentera de dire : « Dans ce domaine comme dans les autres, je suis nul. »
Même si l’acteur apparaît encore au piano dans la séquence d’ouverture de Beau-père, il faudra attendre vingt-quatre ans après sa mort pour avoir une nouvelle trace du musicien, par l’intermédiaire de la publication des mémoires de sa mère Mado : Patrick Dewaere: Mon fils, la vérité (Le Cherche midi, 2006). Un CD de huit titres intitulé Soit, petit homme était offert avec le livre. Huit maquettes guitare-voix enregistrées par Dewaere sur un magnéto à cassette, des chansons personnelles traversées de l’esprit de Brassens.
Le 06 février 1982, Patrick Dewaere chantait en direct « Le Policier » chez Drucker. Quand on le voit assis à son piano, entouré de ses jeunes musiciens, regardez bien ce qui crève l’écran : il est heureux !
Alors, pourquoi s’est-il suicidé ? Allez donc savoir ce qui se passe dans la tête d’un pianiste…
Son personnage de pianiste de bar nous avait prévenus en ouverture de Beau-père, en 1981, un an avant sa disparition : « Allez donc savoir ce qui se passe dans la tête d’un pianiste, derrière ses touches, pendant que vous sirotez votre champagne. Si ça se trouve, lui aussi il est amoureux, ou triste, parce que sa femme l’attend, ou parce que sa femme ne l’attend plus. Parce qu’elle vient de le quitter, ou parce qu’elle va le quitter. »
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