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« Je ne pleure pas sur le passé, je tremble pour l’avenir »


« Je ne pleure pas sur le passé, je tremble pour l’avenir »
Patrick Buisson, par Hannah Assouline.
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Patrick Buisson, par Hannah Assouline.

Retrouvez la première partie de l’entretien ici.

Propos recueillis par Daoud Boughezala, Élisabeth Lévy et Gil Mihaely

Le sarkozysme n’est pas uniquement une psychologie, mais aussi une politique. Dans votre livre, vous critiquez son échec sur l’immigration. À quoi l’attribuez-vous ?

À cette erreur fondatrice qui consiste à reproduire le schéma dominant qui veut que le critère de redistribution de l’argent public ne soit pas la condition mais l’origine : pas le revenu ou l’absence de revenu, mais l’appartenance ethnique. Ce qui revient en somme à remplacer, comme l’a fait la gauche, la question sociale par la question ethno–raciale. Dès 2008, j’ai proposé à Sarkozy de redéployer la politique de la ville en substituant au critère du « quartier » le critère unique de la concentration de la pauvreté calculée à partir du revenu par habitant, de manière à élargir la géographie prioritaire des aides aux zones périurbaines et aux petites villes non éligibles jusque-là à la corne d’abondance de la manne étatique. Cette politique ne relevait en rien de la préférence nationale. Elle initiait en revanche une rupture avec la politique de la préférence immigrée telle que la gauche et la droite l’avaient développée depuis plus de vingt ans. Elle réincorporait la France des gueux et des invisibles, la France des « natifs au carré », comme dit Michèle Tribalat, dans le périmètre des bénéficiaires de l’aide publique. Au mépris de toute justice, Sarkozy a préféré reconduire la politique de la ville sous l’impulsion de Fadela Amara et de… Carla Bruni ; les deux s’entendant sur ce point à merveille.

Mais arrêtez de faire porter le chapeau à Carla, c’est vous qui étiez au pouvoir !

Il ne vous a pas échappé, comme vous me le faisiez remarquer au début de notre entretien, que mon influence a très vite rencontré des limites. Adepte du multiculturalisme, l’épouse du président a relayé au sommet de l’État les exigences du lobby « immigrationniste ». Sarkozy est passé à côté d’une grande réforme qui consistait à rompre avec une injustice profonde qui, au regard de la France populaire, frappe d’illégitimité toutes les politiques publiques de redistribution. Aujourd’hui, on le sait, la critique de l’État providence est portée par les nouvelles classes pauvres, qui ont acquis la certitude d’être moins bien traitées en matière d’aides et d’investissements publics que les banlieues sensibles où se concentrent les immigrés. Dans un contexte de réduction de la dépense publique et d’accélération du processus de mobilité sociale descendante, une société qui se refuse à identifier les intérêts contradictoires ne se donne pas les moyens de procéder à des arbitrages transparents et équitables susceptibles d’être débattus devant tous les Français. Il y avait là une occasion historique pour la droite de s’emparer du totem de la justice sociale, longtemps confisqué par la gauche à son profit. Elle ne l’a pas voulu hier. Pas plus qu’elle ne le veut aujourd’hui si j’en juge par le mutisme de presque tous les candidats à la primaire de la droite sur la question de la redistribution, dont la centralité ne fait aucun doute dans l’électorat populaire et constitue l’humus du vote frontiste.

Pourquoi avez-vous échoué sur l’islam ?[access capability= »lire_inedits »]

Parce que, de Chirac à Sarkozy en passant par Pasqua, la droite a toujours eu une vision et une pratique néocoloniales dans lesquelles la religion n’est appréhendée que comme outil de contrôle social. Elles se situent dans l’exact prolongement de la politique des « bureaux arabes » mise en place par Bugeaud en Algérie : il s’agit de faire émerger une « élite » valorisée et phagocytée par les pouvoirs publics, à coups non plus de bakchich mais de subvention. Ce qui revient strictement au même. L’islam modéré dont rêve la droite n’est en fait qu’un islam corrompu qui vivrait plus de l’islam que pour l’islam. Je rapporte dans mon livre la conversation entre Sarkozy et Dalil Boubakeur, le recteur de la Mosquée de Paris, au moment de la création du Conseil français du culte musulman : « Combien, Dalil ? Combien ? » La droite n’est en aucune manière capable de relever le défi de l’islamisme qui nécessite autant de forces physiques que métaphysiques. Elle s’obstine à vouloir répondre en termes de sécurité, de moyens et d’effectifs à une question qui se pose en termes de civilisation. Quant à la gauche, elle est d’autant moins portée à comprendre, selon la formule de Régis Debray, la fin de la politique comme religion et le retour de la religion comme politique qu’elle a toujours considéré la religion comme une étape dans l’histoire de la conscience humaine et non comme un élément structurant de celle-ci. En outre, toutes les évolutions sociétales impulsées ces dernières années par le camp progressiste ont eu pour effet de favoriser la séparation et la radicalisation de l’islam en France.

De quoi parlez-vous ? De son discours expiatoire ?

Pas du tout. Ce qui me paraît explosif chez beaucoup de musulmans – pas chez tous bien entendu –, c’est la combinaison d’un double sentiment contradictoire : celui de la supériorité de leur civilisation et de l’infériorité de leur puissance. Le mépris que leur inspire la société française, qu’ils jugent à la fois « apostate » et décadente, est pour beaucoup dans leur refus d’intégrer la communauté nationale. Ils se sentent agressés dans leur être de croyant comme dans leur identité la plus profonde par nos lois et par nos mœurs. De la banalisation de l’avortement au mariage gay en passant par la théorie du genre, l’obscénité télévisuelle, l’exaltation du féminisme et la dépréciation de l’autorité masculine. Si bien que nous n’avons plus à partager avec eux ni chose publique – la fameuse res publica – ni chose commune. « On n’habite pas une séparation », résume fort pertinemment Pierre Manent, qui souligne que le « vivre ensemble » n’est plus qu’un règlement de copropriété a minima.

C’est un peu lapidaire comme conclusion, non ?

Ce qui est lapidaire, c’est de reconnaître à l’islam, comme le fait une certaine gauche, un droit à la différence culturelle et de lui en dénier pratiquement l’exercice au nom de la laïcité ou bien dès lors que cette différence heurte sa conception de la liberté individuelle. On veut bien aimer l’Autre, en somme, mais à condition qu’il renonce à son altérité. Il y a plus grave encore : ce logiciel mental qui lui fait considérer les terroristes islamistes comme étant exclusivement des « fous », des « barbares », « des monstres hors humanité » et en aucun cas comme des terroristes déterminés à nous combattre et sachant pourquoi ils nous combattent. En se refusant d’identifier la menace, on se prive de toute possibilité d’y répondre. L’ennemi est la figure de notre questionnement sur nous-mêmes, notre propre remise en cause personnifiée, En cela, il est indispensable pour savoir qui nous sommes et ce que nous voulons. Il ne s’agit pas de faire l’apologie du terrorisme comme on en a accusé à tort Éric Zemmour, mais de comprendre les mécanismes qui nous ont mis en position d’infériorité voire d’impuissance face aux djihadistes. Je rappelle toujours à ce propos la phrase de Nietzsche : « Celui qui est prêt à faire le sacrifice de sa vie dispose aussi de la vie d’autrui. » Notre drame tient à ce que personne ne veut mourir pour défendre le trop-plein de la société de consommation ni pour le vide de toutes les religions séculières dont la modernité a accouché.

Revenons à votre vision de la France périphérique qui nous semble un peu biaisée. De votre observation de la relégation économique et politique des classes populaires et de leur demande d’autorité et de protection, vous tirez la conclusion qu’elle rejette « le mariage pour tous » et veut revenir à une vision plus traditionnelle, proche des valeurs chrétiennes. Vous voyez midi à votre porte.

Que le peuple soit conservateur, tout comme l’est le suffrage universel, me paraît indéniable. Seuls les agités du global, les pseudo-élites sont des adeptes du mouvement perpétuel. Le « bougisme » est la maladie de Parkinson de la mondialisation. Pour la France de la relégation, le changement est presque toujours synonyme de dégradation ou d’amputation. Le peuple français est, en revanche, viscéralement attaché à ce qui l’a constitué en tant que peuple à travers les âges : une mémoire profonde, un imaginaire historique, la sûreté morale, la confiance collective, le sentiment d’unité et d’estime de soi ou, si l’on préfère, de fierté nationale. La crise identitaire a débuté en France avec la prise de conscience d’une liquidation progressive de tous ces indicateurs du « bonheur national brut », de tous ces éléments pourvoyeurs de satisfaction et de bien-être, de tous ces services qui forment un capital immatériel que l’économie ne sait ni créer ni produire, mais auquel les Français tiennent comme à la prunelle de leurs yeux.

Vous êtes aussi un grand lecteur de Maurras qui pensait que les Juifs ne pouvaient pas devenir vraiment français. Cet exemple prouve que sa conception de la nation a vécu. La vôtre qui, antisémitisme mis à part, est assez maurrassienne, n’est-elle pas aussi obsolète ?

Maurras n’est aucunement ma référence privilégiée, contrairement à ce que ressassent les vigiles de la pensée autorisée, je ne le cite qu’une fois dans mon livre et à propos de Ségolène Royal ! En revanche, Péguy, Bernanos et Bloy irriguent ma réflexion. Je pense avec eux que la France n’est ni une abstraction ni une idéologie, mais un assemblage unique au monde fondé sur une fraternité authentique, une fraternité vraie parce que gratuite. Comme eux, je crois qu’il y a toujours eu dans notre histoire des « élites » pour s’accommoder de la disparition de la France et des pauvres pour ne pas en être d’accord. « Il faut que France, il faut que chrétienté continue », écrivait Péguy au début du siècle dernier. Par chrétienté, il entendait non pas tant une adhésion confessionnelle que cette amitié supérieure qui lie les Français entre eux et qui a façonné notre sociabilité nationale. C’est ce trésor-là qu’il nous faut maintenant défendre en faisant, suivant le mot d’ordre de Victor Hugo, la « guerre aux démolisseurs »

On peut éprouver une certaine nostalgie du passé, mais on ne peut pas le ramener. Assumez-vous le terme de « réactionnaire », dans la mesure où vous puisez beaucoup de vos références dans la France prérévolutionnaire ?

Je ne pleure pas sur le passé, je tremble pour l’avenir. L’attitude présentiste qui consiste à vouloir éradiquer tout ce qui a existé avant nous et à nous intimer une interdiction quasi religieuse de regarder en arrière est pure folie. Si être réactionnaire c’est penser que le passé a encore beaucoup de choses à nous apprendre, alors je le suis, et peu me chaut qu’on me traite de la sorte.

Vous voulez rester dans ce que Muray appelait « le monde biblique ». Mais Homo festivus est déjà advenu…

Et il disparaîtra à son tour. L’anthropologie dérisoire du matérialisme se croit irréversible alors qu’il y a dans l’homme des permanences qui finissent toujours par resurgir.

Tout de même, vous l’avez aimé, Nicolas Sarkozy ?

Je lui suis reconnaissant d’avoir eu le courage de s’emparer du thème de l’identité alors que tout le monde autour de lui l’incitait à ne pas suivre ma préconisation. Il a fait montre alors d’un courage qui a bousculé le rapport de forces idéologique et mis pour la première fois la pensée conforme sur le « reculoir ». Hélas ! avec Sarkozy les idées ne valent jamais que comme des leviers d’ambition dont on peut changer dès lors qu’on change de stratégie. Je lui en voudrai toujours d’avoir abjuré la grande promesse de 2007 qui était de réinstaurer le peuple français comme sujet politique et acteur souverain de son destin collectif. Le grand timonier aura été un grand timoré, exclusivement préoccupé par l’autocélébration et le jubilé permanent de se propre personne.

 

C’est la faute à Buisson!

Par Gil Mihaely

Patrick Buisson fascine et intrigue. Après avoir lu La Cause du peuple et l’avoir interviewé pour Causeur, j’étais impatient de voir Patrick Buisson, le mauvais génie, le documentaire d’Ariane Chemin et Vanessa Schneider, journalistes au Monde –coauteurs d’un livre enquête homonyme publié en 2015. Disons-le tout net : ce documentaire est raté.
Les auteurs, éblouies par leur objet, ne voient pas ce qu’elles montrent. Leur fascination pour le personnage est telle qu’elles le transforment en super-héros du Mal, en Dark Vador de la planète France. Du coup, l’histoire qu’elles racontent est plate comme le scénario de La Guerre des étoiles : Patrick Buisson, fils de camelot du roi devenu lui-même nationaliste intégral, a su s’infiltrer dans la droite dite républicaine pour y agir comme un logiciel maléfique dans un ordinateur piraté. Ou comme un trotskiste au PS, c’est selon. Résultat de ce hold-up idéologique du siècle : aujourd’hui on ne parle que d’identité nationale, d’immigration, d’islam, de sécurité et de frontières, comble de l’horreur, on va jusqu’à évoquer Jeanne d’Arc et critiquer l’Union européenne…
Et tout ça, c’est la faute à Buisson ! Il n’y a pas de mondialisation, ni de terrorisme islamiste, ni de territoires perdus. Exit la réalité. Au passage, quid du Brexit, des poussées nationalistes en Pologne et en Hongrie, des succès électoraux de l’AfD en Allemagne ? Ça aussi, c’est la faute à Buisson ?

Mais le plus étonnant dans ce documentaire, c’est la dissonance cognitive des auteurs : leur storytelling sur « Patrick Buisson, génie de l’entrisme » est systématiquement contredit par leur propre récit. Elles s’échinent à prouver que Buisson a phagocyté la droite de gouvernement, ses partis, ses médias. Et que voit-on ? Un consigliere tellement efficace qu’il commence par parier sur Le Pen avant de miser sur Villiers, et donc gâche vingt ans avant de se rabattre sur Sarkozy, sans qu’on sache vraiment, dans ce dernier binôme, lequel est dupe de l’autre. Pourtant, Patrick Buisson est célébré par la voix off du documentaire comme un manipulateur hors pair…

Et ce n’est pas tout. Ce manipulateur, nous dit-on, a déployé ses talents pour contrôler les médias. Jugez par vous-même : direction de Minute (qui voit ses ventes baisser), animation d’émissions hebdomadaires à LCI et enfin, tenez-vous bien, le malin stratège, le Français le plus influent depuis le général de Gaulle, s’empare de… la chaîne Histoire sur le câble !

Regardez donc ce film (en replay sur France 3, après sa diffusion le 27 octobre). Vous ne saurez pas grand-chose de plus sur le mystère Buisson, mais vous en apprendrez beaucoup sur la façon dont, en France, on invente l’information.

Patrick Buisson, le mauvais génie, un documentaire d’Ariane Chemin et Vanessa Schneider.

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