Transmettre ou déconstruire : nos élites ont choisi. Là où les pompiers pyromanes de Fahrenheit 451 brûlaient les livres pour éradiquer tout risque de dissidence s’appuyant sur le passé, nos contemporains se contentent de réécrire le présent à leur convenance. « Un monde sans passé : filiation, éducation, intégration » proclame ainsi en « une » le nouveau numéro de Causeur mis en vente aujourd’hui.
En ces ides de mars, Elisabeth Lévy poignarde l’amnésie de ce « Fahrenheit 2014 » dans son introduction : « Inutile de chercher à fuir. Le Parti de demain triomphe. De gré ou de force, vous entrerez dans l’avenir radieux » épuré des différences sexuelles, raciales, culturelles, et j’en passe. Les propagandistes de la révolution culturelle en cours ne s’appellent pas seulement Peillon et Vallaud-Belkacem, le système médiatique tout entier promouvant la déconstruction de l’éducation, de la famille et de l’intégration au nom de l’égalité. Tant en matière d’instruction que d’intégration, « il n’est plus question de tout faire pour que les derniers arrivés bénéficient pleinement de notre héritage commun, mais de répudier cet héritage pour ne pas froisser ceux que nous accueillons », résume notre directrice de la rédaction.
Ce n’est pas Nicolas Brenner qui dira le contraire. Jeune professeur d’histoire-géo, il nous emmène en immersion dans un lycée péri-urbain, où les « héritiers du néant » se frottent aux illusions lyriques du pédagogisme d’Etat. Les concepteurs des programmes officiels voudraient en effet appliquer les méthodes de l’idéologie managériale à l’école, « la responsabilité en moins »… Cela donne un récit pas piqué des hannetons !
Puisqu’on vous dit que le niveau monte… La preuve, dans certains établissements, il est de plus en plus difficile d’enseigner l’existence de monothéismes antérieurs à l’islam, comme nous le confie le philosophe Jean-Claude Milner, interviewé en ces pages. Dans un entretien roboratif quoique pas franchement rassurant, l’auteur du Juif de savoir en appelle à Sartre pour conjurer la conception passive de l’égalité aujourd’hui hégémonique : il n’est plus question de reconnaître les inégalités pour les combattre, mais de les nier purement et simplement, comme on rayerait d’un trait de plume le mot race de la Constitution ! Même constat pour André Markowicz, traducteur de Dostoïevski en français et en breton, qui a vu l’orthographe déserter les salles de classe à mesure que décroissaient les exigences des professeurs. Interrogé dans nos colonnes, Michel Field relativise le phénomène. Pour lui, « chaque génération a le sentiment que celle qui la suit brade son savoir, son capital culturel ». Mais les compétences informatiques inédites des jeunes ne suffiront pas à nous consoler de cette rupture de transmission. Ceci étant, comme nous le rappelle Luc Rosenzweig, l’éducation, c’est un peu comme le tango : il faut être deux pour que ça marche. Si nos « grands-parents indignes » préfèrent barboter aux Baléares plutôt que d’initier leur descendance au tarot, ce n’est tout de même pas la faute des marmots ni celle, en vérité, des papys et mamys à qui l’Etat rêve de faire porter le chapeau.
Des préaux aux berceaux, il n’y a que quelques années. Et la grande lessiveuse est déjà largement à l’œuvre : du mariage pour tous à l’ABCD de l’égalité, la déconstruction sévit tous azimuts : le gouvernement fait feu sur les « stéréotypes liés au genre » et autres discriminations du fond des âges. Eugénie Bastié et le grand sociologue américain Christopher Lasch, mis au goût du jour par mes soins, vous donneront les clés pour comprendre la grande croisade anti-patriarcale en cours. Sans ruer dans les brancards à la moindre réformette, force est de constater avec le psychanalyste Jean-Pierre Winter qu’« il faudra plusieurs générations pour mesurer les effets des changements en cours ».
En plein dans l’actu, Patrick Buisson fait irruption dans notre séquence actualités. Son portrait idéologique signé Joseph Zeltman s’avère époustouflant d’acuité. L’antilibéralisme intégral de l’ancien conseiller élyséen inspire six pages très riches, agrémentées de citations et de confidences, sans fritures sur la ligne. Non moins brûlante, la crise ukrainienne nourrit l’inspiration de Jean-François Colosimo, qui replace les événements récents dans l’histoire millénaire d’une nation fracturée.
Puisqu’il faut bien revenir sur l’ « affaire », Elisabeth Lévy répond aux questions tranchantes d’Alain Finkielkraut au sujet de l’interview de Dieudonné parue dans notre numéro d’avril. Loin du ton courtois et civilisé de cet échange, certains censeurs ont cru bon devoir injurier notre journal et sa directrice. Dans son éditorial, Elisabeth Lévy précise notre ligne éditoriale et répond aux quelques calomnies propagées par ces « moutons flingueurs » pour lesquels la reductio ad hitlerum tient lieu de (non-)pensée.
Last but not least, pour détendre un peu l’atmosphère, n’oubliez pas nos pages culture, qui vous emmènent du cinéma de Rohmer à la féérie de Marlène Dietrich racontée par son dernier confident. Sans oublier la chronique gastronomique de Félix Groin, consacrée à la viande, et plus saignante que jamais. Faites la fine bouche, achetez Causeur !
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