À travers son amour pour la ville de Christian Estrosi, Patrick Besson nous fait le bilan de sa vie, de ses amours, de ses lectures et de ses repas.
Bonheur de se promener à Nice avec Patrick Besson. Bonheur de retrouver cette ville dans laquelle l’auteur de ces lignes a fait ses khâgnes dans les années 90 (lycée Masséna, salle 912) et qu’il n’aurait peut-être jamais dû quitter. Bonheur de picorer ces aphorismes comme dans un livre de Nietzsche (qui, comme tant d’autres, aima Nice à la folie et y écrivit une partie du Zarathoustra).
Capiteuse et toxique
La mélancolie chaleureuse de cette ville qui inspira tant d’artistes, Matisse, Modiano, Le Clézio, mais aussi Joyce qui y eut l’idée de Finnegans Wake. Son effervescence vieille et estudiantine, bourgeoise et brigande, cosmopolite et identitaire. L’ambiance Satyricon qui y règne avec ses odeurs d’ordures suaves, ses freaks qui mendient sous les arcades de l’avenue Jean Médecin, ses filles de l’est que l’on lorgne dès l’arrivée en gare de Nice-ville.
Quelque chose d’intense et de suspendu, de capiteux et de toxique, d’enivrant et de vomitif mais dont le besoin revient toujours. « La ville résume les doutes que j’ai sur tout, elle est un repaire métaphysique », écrit l’auteur d’Un Etat d’esprit. Mille fois d’accord. Nice requinque et déprime, innerve et désaxe.
Ville uchronique en un sens qui donne l’impression d’une irréalité splendide (et c’est pourquoi l’attentat islamiste au camion du 14 juillet sur la Promenade et celui du 29 octobre 2020 à la basilique Notre-Dame de l’Assomption ont été vécu comme des effractions au paradis). Ville dont on se demande toujours quand on y va si on ne devrait pas y « renoncer dans un but de rangement car continuer d’y aller c’est demeurer dans tout ce présent mélangé et sans fin ». Nice, ville du retour et de de l’éloignement. Ville qui traverse le temps comme « l’émouvant tramway, place Garibaldi ». Ville années vingt qui fait dire à l’auteur certaines bêtises comme celle de trouver moches les femmes de ces années-là ?! Parle pour toi, Patrick ! Elles sont hautement attirantes, ces flappers aux robes Charleston, aux chapeaux cloches, au maquillage et à la coiffure Louise Brooks, aux sourires coquins parfois jusqu’à la lubricité.
Souvenirs, souvenirs
Tant pis, au moins nous retrouverons-nous dans les mêmes endroits aimés, à l’Albert Ier, 4 Avenue des Phocéens, qui fut le premier hôtel dans lequel je descendis lors de mon retour là-bas en juillet 2006 et où je connus Nathalie B. ; au Café de Turin, 5 place Garibaldi, mon restaurant de fruits de mers préféré de la galaxie, où je m’installe toujours à l’intérieur, en face du bar, sur l’une des banquettes vertes ; au Brouillon de culture, bouquinerie sublime où l’on trouve les plus beaux livres de notre monde passé tels les Classiques Garnier de chez Bordas, merveilleux volumes jaunes, hélas aujourd’hui de plus en plus rares – comme les putes de la rue de France ou du boulevard Gambetta, à deux pas du studio des Palombes, 38 rue du Châteauneuf, que me louait mon père à la fin des années 80 ; aux différents cinémas de la ville, enfin, que je connais par cœur et où j’ai vu quelques films cultes de ma vie à leur sortie : Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant de Peter Greenaway (1989) au Mercury, Les Affranchis de Martin Scorsese au Pathé Masséna (1990), Arizona Dream d’Emir Kusturica (1992) au Pathé Paris, Nelly et Monsieur Arnaud de Claude Sautet (1995) aux Variétés, A Dangerous Method de David Cronenberg au Rialto (2011) et par-dessus tout Reflet dans un œil d’or de John Huston à la Cinémathèque de Nice, le 24 janvier 1992, avec Marie F., le premier amour impossible de ma vie.
Mourir à Nice, un projet de vie
« Mourir à Nice : projet de vie. » C’est une idée qui fait son chemin. Revenir ici à ma retraite, trouver un logement du côté du jardin Alsace-Lorraine et me laisser aller aux souvenirs de ma vie jamais vraiment commencée. « Devenir, par paresse avouée et calcul secret, un vieil auteur oublié à Nice » et dont les livres ont disparu avant qu’on ne disparaisse soi-même. Peut-être ai-je trop étudié la littérature pour en faire et que c’est comme « disséquer une assiette de socca ». En tous cas, voici un livre que j’aurais aimé écrire et je ne sais comment l’auteur le prendra.
Patrick Besson, Nice-ville, Flammarion.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !