Quatre écrivains, eux aussi dissidents, résistent à la déferlante zemmourienne en librairie
Il a tué le business. Dans les librairies comme sur les plateformes, il n’y en a plus que pour lui ! Il a étouffé la rentrée littéraire, en slip de bain. Les autres écrivains ne décolèrent pas. Et nous qui avons travaillé des mois entiers sur notre manuscrit, qu’allons-nous devenir maintenant ? Personne ne s’intéresse aux livres farcis de bonnes intentions et d’amour fraternel. Face à une telle déferlante, j’en connais même qui s’inventent un passé souverainiste alors qu’ils formaient les bataillons ravis d’Erasmus et avouaient ouvertement leur tentation pour un fédéralisme benêt. L’Allemagne était jadis leur eldorado. Ils ont vieilli. Chargé de famille, crédits sur le dos, l’écrivain doit choisir son camp. Le public veut du conflit de civilisation et du Fight Club.
Zemmour a ringardisé la fiction
Certains reconnaissent même, à demi-mot, des amitiés littéraires pour les Hussards les plus réprouvés, quand d’autres déclarent que Jean-Marie était, malgré tout, un orateur hors-pair, que sa culture et son style enflammé manquent au débat public. Les temps changent. Zemmour a ringardisé les fictions altruistes et les récits communautaires. Il pousse ses confrères auteurs à toujours plus de radicalité. Il ne leur laissera que les miettes de l’édition. Son appétit semble insatiable. Alors, à quoi bon décerner des Prix, en novembre prochain ? Le marché est mort. Il a plié la concurrence !
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Dans les ateliers d’écriture, les coachs s’adaptent déjà à cette situation nouvelle, ils enseignent désormais les techniques dites de rupture. C’en est fini du consensus mou et du « vivre ensemble » boiteux. Le lecteur aspire à de l’explosif sur sa table de nuit, les rues sont devenues si dangereuses. Le frisson avant de s’endormir demeure un puissant somnifère. On dort mieux, l’esprit chargé de toutes les misères du monde. Quand tout va bien, on gamberge, on s’inquiète, on sait ce bonheur fragile et on a peur de tout perdre.
Zemmour fait des jaloux
Alors que lorsqu’on a admis que tout était foutu dans notre beau pays, la sérénité nous vient en dormant. Le Goncourt et le Renaudot ont l’air malin cette année avec leur cercle d’auteurs anonymes dont personne n’a lu une seule ligne. Les critiques ne font même plus semblant d’y croire. Pour passionner les Français, les jurys devront se rabattre sur les ficelles du métier : le conflit d’intérêt, le plagiat ou, à l’extrême limite, les coucheries. Mais l’entre-soi ne fait plus tellement vendre. Les élites ennuient plus qu’elles n’agacent, elles nous renvoient, chaque jour, notre médiocrité en plein visage. Les chiffres de Zemmour donnent tout de même le vertige. Les écrivains sont partagés entre l’admiration pour le bonhomme qui réussit à vivre royalement de sa plume et la jalousie inhérente aux professions intellectuelles. Mêmes les libraires progressistes ont bazardé leurs idéaux de jeunesse, ils sont prêts à l’accueillir pour une séance de signatures et renier trente années de combats associatifs.
Ils en ont pourtant signé des pétitions et usé des semelles entre Bastille et République. Ces derniers temps, ils ne rêvent plus d’Allende mais à ces interminables files d’attente devant leur boutique, les cars de police en renfort et la télé pour immortaliser ce moment de culture pour tous. Zemmour fait mieux qu’Astérix et Houellebecq, Nothomb et Musso, Blake et Mortimer. Faudra-t-il inventer une loi anti-trust pour contrer son monopole qui capte l’essentiel des lecteurs ? Les 521 romans de septembre ont du mouron à se faire. Je suis tenté parfois par le renoncement rieur de mon maître italien Ennio Flaiano qui écrivait dans ses carnets, en octobre 1959 : « Écrire est devenu inutile, si ce n’est dans une écriture indéchiffrable ».
Mais n’oublions pas les écrivains dissidents
Et puis, je me ressaisis. Ne suis-je pas un passeur d’écrivains clandestins ? J’ai une mission : faire découvrir quelques désenchantés rigolards ou moralistes godelureaux, ces plumes légères qui fouettent l’esprit de sérieux. J’aime les écrivains qui ne sont dupes rien, qui ne professent rien, si ce n’est leur fielleuse acrimonie. Leur dégoût des temps nouveaux me réconforte et m’apaise. Ils ont l’obligeance de s’exprimer en français, dans une langue vive et cafardeuse, éclairée par quelques fulgurances narcissiques.
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Chez ces quatre-là, la littérature oscille entre angoisse existentielle et sursaut d’orgueil, entre désir de raconter une histoire sans ennuyer et nostalgie vacillante, un difficile équilibre entre maintien et désengagement. Comme à son habitude, féroce et abandonné, Marin de Viry dans son dernier roman L’Arche de mésalliance aux éditions du Rocher déconstruit nos mythes actuels. C’est jouissif et abyssal. « Il faut avoir lu Proust et Balzac pour te comprendre : tu hésites entre couler socialement en restant fidèle aux tiens, et t’avilir en les reniant » écrit-il, en bon disciple du Cardinal de Retz.
Patrick Besson n’a rien perdu de son toucher de balle, dans son Petit éloge amoureux de la librairie, collection initiée par Christian Authier chez Privat, il se rend au marché du livre ancien parc Georges-Brassens en pèlerinage : « J’y retrouve les livres qu’il y avait à la FNAC Montparnasse au début des années 1970 et qui me paraissaient hors de prix. Les racheter 1 ou 2 euros en 2021 me procure un plaisir funèbre, comme celui d’être milliardaire sans amour ».
En ce premier week-end d’octobre, j’ai envie également de vous guider vers deux auteurs talentueux : David Gaillardon, prince de la nouvelle Grand Siècle, chez Via Romana avec son ouvrage Le lapin de Pâques et autres nouvelles et l’éclat désabusé de Julien Sansonnens avec Septembre éternel aux éditions de l’Aire.
L’Arche de mésalliance de Marin de Viry – éditions du Rocher
Petit éloge amoureux de la librairie de Patrick Besson – Privat
Le lapin de Pâques et autres nouvelles de David Gaillardon – Via Romana
Septembre éternel de Julien Sansonnens – éditions de l’Aire
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