Ondine Millot : Il y aurait trop de livres dans les librairies. Rectifions : trop de mauvais livres, romans calibrés, fast bouques ou traités sur le bonheur. Ils font déborder les piles, nous détournent des pépites qu’ils cachent. Ainsi, l’an dernier, Sylvia Bataille, d’Angie David, flânerie biographique autour de la muse et épouse de Bataille et Lacan, n’a pas eu l’écho mérité. Tout comme L’amour à mort, des textes d’Ondine Millot illustrés par Angel Di Marco. Un volume rouge sang, au plus près des passions mortelles, édité chez Steinkis. L’amour, dans ces histoires vraies, n’est pas enfant de bohème : plutôt un chien de l’enfer. Avec Luc Le Vaillant, Bayon et Eric Dahan, Ondine Millot est une des meilleures plumes de Libération. Et une raison exquise pour souhaiter que le journal du triste Bourmeau, en état critique, ne crève pas.
Patrick Besson : Une année qui commence avec deux recueils d’articles de Patrick Besson, c’est extra. Un roman, Clara Bruti, était également annoncé : « En 2060, atteinte de la maladie d’Alzheimer, l’ex top-modèle et chanteuse Clara B décide d’écrire ses mémoires… » Penser à demander à Patrick, lors d’un prochain déjeuner au Lotus ou au Tournon, ce qu’il en est. En attendant, nous lisons Mes vieux papiers, reprise de Folks, qu’avait jadis édité le regretté Jean-Paul Bertrand. Entre les écrivains chouchous de Besson et ses têtes de Turc, un portrait de Béatrice Dalle nous plonge dans les salles obscures et dans les presque mille pages de Premières séances, intégrale des critiques cinématographiques données par Besson, entre 2000 et 2009, à VSD – alors dirigé par Franck Maubert. Qu’il nous parle des films qu’il a vus, tout comme quand il livrait son Plateau Télé ou quand il n’en fait qu’à sa fête en signant l’éditorial d’un hebdomadaire – Au Point -, Besson tient avant tout le journal de ses jours et de ses nuits. Des nôtres aussi, d’ailleurs. Il est le plus brillant des mémorialistes. Ses chroniques sont notre recherche du temps perdu. On attend la suite.
Virginie Mouzat : Vanity Fair, comme Lui, c’est presque toujours bien. Des photos – Romy ou Kate Moss en couverture – et des mots d’écrivains, notamment ceux de Jean-Jacques Schuhl, qui a offert de ses nouvelles – excellentes – aux deux magazines. On retrouvera « Un dernier amour d’Andy Warhol », « Le mannequin dans la vitrine » et « La cravache » dans Obessions, à paraître début avril chez Gallimard. Le seul reproche que l’on pourrait adresser à la publication dirigée par Michel Denisot : Virginie Mouzat n’y écrit pas assez. Elle nous enchantait, dans Le Figaro, avec ses chroniques de mode. Nous n’attendions la fashion week que pour ses mots sur les collections. Ou presque : les parures de Carine Roitfeld étaient un autre plaisir. On en profitait également pour relire, rituel immuable, ses deux romans, parus chez Albin Michel : Une femme sans qualité et La vie adulte. La rareté des mots de Virginie a peut-être une explication : elle est en train de finir sa prochaine fiction. Ce que nous espérons.
Renaud Matignon : C’était notre rendez-vous du jeudi : Renaud Matignon dans Le Figaro littéraire. Qu’il encense ou qu’il dézingue « façon puzzle », que nous soyons d’accord ou pas avec lui, nous attendions son feuilleton. Constance de Bartillat et Charles Ficat ont eu l’excellente idée de rééditer La Liberté de blâmer, sélection des critiques de Matignon. L’ouvrage était épuisé ; il manquait aux fêlés de littérature. A chaque page, on a envie de souligner des formules. Sur Duras ou Nabe, Matignon fait mouche. Son long portrait de Jacques Laurent est un bijou. Il aime Sagan, puis remarque une certaine fatigue chez l’éternel « charmant petit monstre ». Des fielleux lui reprochaient de n’avoir jamais écrit de « vrai livre ». Achevant notre lecture de La Liberté de blâmer, on repense à une formule de Patrick Besson : « Il me demande comment on écrit un livre. Je lui explique que c’est simple : on découpe les articles qu’on a publiés dans les journaux et on les rassemble à l’aide d’une agrafeuse. » Renaud Matignon, écrivain mort en 1998, nous manque.
Christian Authier : Longtemps, nous avons acheté des journaux pour retrouver les écrivains qui y tenaient salon. Besson écrivait partout ; Bernard Frank avait ses colonnes dans Le Nouvel Observateur ; Beigbeder faisait entrer la littérature dans les pages people de Voici ; Bertrand de Saint-Vincent invitait Berthet au Quotidien de Paris ; on en oublie. Qui lire aujourd’hui, alors que les écrivains ont été chassés de la presse ? Christian Authier, ici et là, dans L’Opinion indépendante surtout. Il vient de publier un roman, Soldat d’Allah, chez Grasset. S’inspirant de la trajectoire des membres du « Gang de Roubaix », Authier signe le tableau très noir d’un Occident en lambeaux et d’une poignée d’hommes qui s’y sont égarés. Les années 90 sont grises et tâchées de sang. Dans le Nord de la France ou sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, les morts se ramassent à la pelle. Les illusions, ce qu’il en reste, se perdent définitivement. Ne quittant jamais le théâtre des opérations, la langue d’Authier, tendue et précise, braconne souvent du côté de la mélancolie. Il touche alors, pleine cible, le cœur de chacun. Son Soldat d’Allah n’est pas prêt de nous lâcher.
Marli Renfro : Le destin des starlettes, souvent, est tragique. Célébrité subite, comme une petite mort. Les exemples ne manquent pas. Nous pensons à Lindsay Lohan, à l’affiche de The Canyons, avec sa robe noire, son bikini rouge, ses escarpins et sa voix de fumeuse sensuelle. Pour retrouver une starlette, lire La fille derrière le rideau de douche, de Robert Graysmith, publié par Denoël. Graysmith nous dit tout sur Marli Renfro, mannequin assassinée en 1986. Sans le savoir, chacun connaît Marli. Elle a servi de doublure à Janet Leigh dans la scène de la douche de Psychose. Elle a également tourné pour Coppola, été une des « Bunnies » de Hugh Heffner. Son meurtrier s’appelait Sonny Busch. Il ressemblait à Anthony Perkins. Graysmith, qui avait déjà enquêté sur le « tueur du Zodiaque », offre à Marli Renfro le plus beau des tombeaux. Ses rêves de jeune fille le méritaient.
Benoît Sourty : Nous avions failli manquer Angie David et Ondine Millot, il ne faudrait pas passer à côté d’un mince premier roman : Crache les cuisses, de Benoît Sourty. C’est chez Fayard et c’est une histoire qui, selon les moments, nous enlace et nous cogne. Sourty maîtrise les faux-semblants du récit, nous ramenant sans cesse au plus près de son héroïne. Dans la tête de la jeune femme, on devine une fêlure. Elle reçoit des mèles mystérieux. Une romance virtuelle est-elle en train de naître ? Rien n’est sûr. Il s’agit d’être attentif à ses éclats d’âme. Crache les cuisses est un texte à vif. Un avertissement : Prendre garde aux brûlures. Il y a des flammes, parfois, qu’il est précieux de ne pas connaître.
*Photo : ANDERSEN ULF/SIPA. SIPAUSA30050376_000010.
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