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Pastis parisien


Pastis parisien
Marseille août 2020. AP/SIPA. Numéro de reportage : AP22484071_000013

Avant la finale de la Ligue des Champions opposant Paris à Munich, le Préfet de police des Bouches-du-Rhône interdit le port du maillot du PSG dans le centre-ville de Marseille par mesure de sécurité. Puis il annule ce même arrêté en invoquant « l’émotion » suscitée par sa décision. Bienvenue chez Ubu roi de France. 


Chaque jour apporte moult exemples des méfaits du néo-girondinisme qui triomphe sous le nom de proximité. Nos bons maires (surtout les Verts mais pas que) nous aiment tellement qu’ils fourmillent d’idées, non seulement pour nous rendre la vie meilleure mais pour nous rendre meilleurs. À Bordeaux, on songe à couper les vivres à l’opéra, histoire de guérir les penchants élitistes. Et bien sûr, c’est à celui qui nous protégera le mieux et nous assommera d’interdits et de répression – pour notre bien, évidemment.

Que cent jacobinismes s’épanouissent

Du coup, on s’intéresse moins au deuxième membre du nouveau couple exécutif à qui le président et le gouvernement ont discrètement refilé le mistigri des libertés publiques : au préfet de décider, in fine, jusqu’à quel point on peut les rogner. Bras armés de l’Etat dans les départements, les préfets inventent donc une sorte de jacobinisme local, qui vise à adapter la rigueur (et les foudres) de l’administration aux mœurs des divers autochtones qui peuplent la France. En Seine-Saint-Denis, on a appliqué le confinement avec « discernement » (c’est-à-dire mollement), dans les régions côtières, on a sorti les drones pour repérer l’impudent qui osait poser un pied sur le sentier des douaniers (et ne parlons pas des plages). Imaginant que les reclus allaient s’arsouiller en permanence et cogner en conséquence, le préfet de l’Oise a publié en mars un arrêté proscrivant la vente de l’alcool dans tout le département – le plus alcoolique de France. Les addictologues qu’il a consultés après avoir pris cette brillante initiative l’ayant informé des dangers du sevrage forcé et soudain, il a lâché en moins de 24 heures.

Nombre de ces idées baroques ont sans doute échappé à la vigilance des médias. Cependant, le pompon de la sottise bureaucratique revient au préfet des Bouches-du-Rhône. On ne sait pas ce qui est le plus consternant, de sa décision d’interdire les maillots du PSG à Marseille ou de sa reculade devant la vox populi – ou plutôt la voix des réseaux sociaux.

Prendre les gens pour des bourrins

Le 20 août, Emmanuel Barbe, signe un arrêté interdisant le port du maillot parisien dans le centre-ville de Marseille à l’occasion du match que vous savez. Tout d’abord, le préfet semble prendre tous les Marseillais pour des bourrins incapables de se contrôler à la vue du maillot rouge et bleu du PSG. Mais ce qui est plus grave encore, c’est qu’il déclare forfait par avance : « Après la demi-finale contre Leipzig, a-t-il lâché sur BFM, il y a eu, dans le centre de Marseille, des poursuites, des gens qui se sont bagarrés. Et je ne peux imaginer ce que ce serait dans l’hypothèse d’une victoire du PSG dimanche. » Quel aveu d’impuissance : notre police serait-elle incapable d’interpeller et de déférer à la Justice les abrutis violents et avinés des soirs de matchs ? Il valait mieux, a expliqué en substance l’intéressé, prévenir par l’interdiction que guérir par la répression. Sous ses airs d’évidence, ce postulat signifie que, comme le dénonce régulièrement François Sureau, on préfère supprimer une liberté fondamentale que garantir son exercice, par la force s’il le faut. J’entends d’ici les ricanements. Porter un maillot PSG, une liberté fondamentale ? Eh bien oui ! Si on tolère que cela soit interdit, pourquoi ne pas accepter demain que l’on proscrive, au nom de l’ordre public, l’emblème de tel ou tel parti qui aurait l’heur de déplaire aux plus violents ? Le rôle des forces de l’ordre est de garantir l’expression de toutes les opinions et sensibilités, pas d’aller au devant des désirs des ayatollahs de tout poil qui prétendent museler par l’intimidation ceux qui n’ont pas la même alimentation, la même définition du racisme, la même aversion pour les hommes ou le même club de football qu’eux.

Bien sûr, ce n’est pas le souci des libertés publiques qui a décidé le préfet à retirer son arrêté moins de 24 heures après sa publication, mais la bronca des réseaux sociaux. On découvre donc au passage que le marbre dans lequel est censée être gravée la règle de droit ressemble à du caramel mou. Pas besoin de grandes manifs, il suffit de quelques dizaines ou centaines de brailleurs numériques et la règle disparaîtra. Peu importe en l’occurrence, que les brailleurs aient eu raison. Si nous sommes en train d’assister à l’émergence de l’administration d’opinion, comme nous avons vu naître et triompher le gouvernement d’opinion, nous n’avons pas fini de rire.

Rire est du reste la seule réaction raisonnable à la lecture du communiqué de capitulation : «Face à l’incompréhension suscitée par cet arrêté, le préfet de police a décidé ce jour de l’abroger.» Une nouvelle version de la castanerie du siècle  – « Le droit doit céder devant l’émotion ». Voilà qui ouvre de réjouissantes perspectives. En effet, il y a des tas de normes, obligations, et prohibitions, qui suscitent de l’incompréhension. Pour ma part, je ne comprends absolument pas la nécessité de porter un masque dans la rue. Il est vrai que je n’irai jamais casser la figure de mes concitoyens masqués, ni même de ceux qui en redemandent (ceux-là, je ne les remercie pas). C’est peut-être pour ça que le préfet se fout totalement de mon incompréhension.

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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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