Un passeport pour Nicosie
« Putain, putain, c’est vachement bien, on est tous des Européens ! », chantait le grand Arno dès 1981. C’est très beau, mais hélas faux : trop d’humains sur cette Terre n’ont pas le droit d’être européens. Pas encore : on finira sans doute par élargir l’Union au Maroc et à la Mongolie. En attendant cet avenir radieux, heureusement, l’Union est bonne fille : il existe toutes sortes de moyens légaux permettant à n’importe qui d’en devenir citoyen, sans être obligé de traverser la Manche à la nage, de jouer les réfugiés politiques syldaves ou de marner sur un chantier pendant cinq ans en espérant d’éventuelles régularisations puis naturalisations. Il existe une solution magique : l’argent. [access capability= »lire_inedits »]
Un journaliste du quotidien anglais The Telegraph s’est fait passer pour un riche Indien europhile désirant acquérir la nationalité bulgare. Il s’est adressé à Arlon Capital, une des nombreuses agences spécialisées dans ce genre de démarche ayant pignon sur rue à Sofia. La pleine citoyenneté et un passeport en bonne et due forme lui furent promis pour la somme de 150 000 livres (environ 180 000 euros). Jusqu’à présent, seule Malte proposait ce genre de deal, pour un tarif nettement plus coquet : 650 000 euros .
Pour les plus fauchés, il y a la citoyenneté low cost. Pas pour un passeport pur porc, mais presque : de nombreux pays attribuent automatiquement le statut envié de « résident permanent européen » à quiconque achète un bien immobilier chez eux. D’après Le Soir de Bruxelles, pour qui l’Union n’a aucun secret, les prix s’échelonnent entre 1,2 million d’euros au Royaume-Uni et 70 000 en Lettonie, l’affaire du siècle !
Le mode d’accession le plus cocasse à une nationalité européenne est à chercher beaucoup plus au sud. On se souvient qu’il y a un an, Chypre a été frappée par un séisme bancaire, suivi de peu par un « plan de sauvetage européen » qui mettait lourdement à contribution les détenteurs de gros comptes. Eh bien, à titre de compensation, quiconque a perdu plus de 3 millions dans l’affaire peut devenir citoyen chypriote. Quand on vous dit que l’Europe est bonne fille…
Marc Cohen
Moutons engagés
Grenoble est une ville iséroise connue pour son téléphérique urbain, son équipe de hockey sur glace, son fort de la Bastille même pas détruit par les sans-culottes et surtout pour Stendhal, inventeur du rouge et du noir. C’est pour toutes ces raisons – plus la majesté des paysages – qu’à l’occasion des récentes municipales, l’écologiste Éric Piolle a décidé de bouter le sortant socialiste et de devenir maire de la ville, avec la complicité des électeurs.
Sitôt élu à la surprise générale des sondeurs, il a sorti de sa besace en chanvre biodégradé un de ces projets qui marquera l’Histoire : le déploiement massif dans la ville de moutons chargés de l’entretien des espaces verts. Et il s’agit d’une expérimentation vouée à « se développer à grande échelle ». L’AFP précise : « Installés à proximité d’une aire de promenade et d’un parcours d’accrobranche, les moutons appartiennent à une race rustique en voie de disparition (le mouton de Soay) qui s’adapte à tout type de terrain et se satisfait de faibles ressources en pâturage. »
Mais n’allez pas croire que ces sympathiques herbivores aient seulement une vocation utilitaire. Ce ne sont pas seulement des tondeuses sur pattes, mais aussi des semeurs d’idées : Éric Piolle veut non seulement que les moutons entretiennent les parcs et jardins, mais qu’ils changent la mentalité des citadins car, dit-il « tout ce qui contribue à ramener des animaux en ville est utile ». Qu’est-ce à dire? Allons-nous bientôt voir veaux, vaches, cochons et lamas prendre le tram, siroter des Campari aux terrasses des cafés et faire la queue au McDo ? Non, pas exactement, mais l’une des ambitions avouées de la nouvelle équipe municipale est d’instaurer la collecte des ordures par… traction animale.
Tss-tss, Monsieur le Maire… On se prétend ami des bêtes et on ne pense qu’à les faire trimer! Espérons que, même en l’absence de convention collective ad hoc, les moutons paysagistes et les ânes éboueurs auront droit aux 35 heures. En attendant, si d’honnêtes quadrupèdes se mettent à piquer le boulot d’honnêtes travailleurs, on n’est pas rendu.
François-Xavier Ajavon
Sentiment d’antisémitisme
C’est un établissement comme on en compte quelques-uns à Paris, un établissement juif pour garçons qui prodigue un enseignement religieux et prépare ses élèves au baccalauréat. Ici, l’uniforme est de rigueur : chemise blanche et pantalon noir, les élèves portent kippa ou casquette et quelques-uns, plus rares, arborent des papillotes. Qui regarde à l’intérieur du bus ramenant les élèves chez eux devine sans peine de qui il s’agit. Rien que de très banal pour qui vit à Paris.
Mais il y a quelques mois, peu avant le sinistre « Jour de colère » et l’interdiction du spectacle de Dieudonné, aux abords d’un lycée « sensible » devant lequel passe le car sans problème depuis un an, les invectives ont commencé. Rien que de très banal en somme. Chamailleries d’enfant que l’âge viendra clore, car il s’agit ici de part et d’autre de gamins dont l’âge varie entre 12 et 16 ans. Un cran est franchi cependant quand les invectives virent à la quenelle et que, rapidement, ces quenelles se transforment en jets de pierres. La guerre des boutons cède place à l’Intifada. Sur recommandation de la police, le bus de l’établissement juif doit changer de trajet. Rien que de très banal pour qui vit en France depuis le début des années 2000. L’affaire pourrait cesser ici mais, moins d’un mois après que le bus a changé son itinéraire, il tombe dans une embuscade : une petite dizaine d’adolescents l’attendent à un carrefour et le bombardent de pierres rassemblées à cet effet, lesquelles s’avèrent suffisamment volumineuses pour briser l’une des vitres du véhicule. Plainte est déposée pour « mise en danger de la vie d’autrui et insultes racistes », mais il faudra faire jouer la haute hiérarchie de la police pour qu’elle soit enregistrée. Les policiers, fort sympathiques au demeurant et tout à fait compréhensifs d’après les dirigeants de l’établissement juif, ne voient étonnamment pas le rapport entre la religion des élèves et l’agression, ni matière à plainte quand les faits leurs sont rapportés. La car ne pouvant pas faire d’autres détours, il bénéficie désormais d’une escorte policière. Rien que de très banal…
Mystère du calendrier, on nous assure que les actes antisémites ont diminué : pas certain que les élèves du bus s’en soient aperçu, mais peut être ressentent-ils simplement un « sentiment » d’actes antisémites comme il y avait un « sentiment » d’insécurité. Rien que de très banal en somme pour qui vit en France…[/access]
Jacques de Guillebon
*Photo: REX40220095_000002.Rex Features/REX/SIPA
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