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Passe sanitaire: le Conseil constitutionnel a joué son rôle

Sans surprise, le Conseil constitutionnel a validé l’essentiel de la loi


Passe sanitaire: le Conseil constitutionnel a joué son rôle
Conseil Constitutionnel, Paris, mars 2017 © Witt/SIPA Numéro de reportage : 00800792_000018

En validant la loi autorisant le premier ministre à subordonner l’accès à certains lieux, le Conseil constitutionnel est resté dans son rôle : celui de contrôler le législateur plutôt que de s’y substituer. L’avis d’un juriste…


Sans surprise, le Conseil constitutionnel a validé l’essentiel de la loi relative à la gestion de la crise sanitaire, mettant en place le fameux passe sanitaire. À la marge, il censure néanmoins les dispositions autorisant la rupture du contrat de travail pour les salariés en CDD et le dispositif créant une mesure de placement à l’isolement automatique pour les personnes faisant l’objet d’un test de dépistage positif à la covid-19 (c’est-à-dire sans qu’une décision individuelle, administrative ou judiciaire, ne les contraignent).

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La décision rendue n’est pas surprenante, elle est cohérente avec la jurisprudence traditionnelle du Conseil constitutionnel et conforme au rôle qui est le sien, celui de contrôler le législateur et non de s’y substituer.

Le Conseil constitutionnel a estimé, à juste titre, que le législateur, expression même de la souveraineté nationale, disposait d’un pouvoir d’appréciation sur la réalité de la situation épidémique et qu’il appartenait aux représentants du peuple de concilier l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République.

On ne pouvait pas attendre une décision politique de la part d’un juge

Le Conseil constitutionnel a statué en droit, sa décision n’est pas politique et ne pouvait pas constituer le match retour du débat parlementaire. D’aucuns déplorent qu’il n’ait pas joué un rôle de contrepouvoir, mais il n’avait pas à le faire, nous sommes en démocratie, pas dans le gouvernement des juges.

Une démocratie ne fonctionne pas par un assemblage d’individus centrés sur leurs propres intérêts, mais elle procède d’une collectivité de citoyens œuvrant pour le bien commun. Les grands principes naturels et universels ne sauraient s’appliquer au détriment de l’expression de la souveraineté nationale et en dépit de tout pragmatisme.

La Constitution garantit des libertés individuelles, certes, tout comme elle consacre les principes :

  • que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi », exprimé à l’article 4 de la Déclaration de 1789 ;
  • la protection de la santé par l’Etat à l’article 11 du Préambule de la Constitution de 1946.

La loi relative à la gestion de la crise sanitaire a posé les bornes à l’exercice des libertés et concourt à la protection de la santé. Elle est donc constitutionnelle.

L’équilibre entre les libertés conditionné au risque de surcharge du secteur hospitalier

En matière de libertés, tout bon juriste doit se poser trois questions, la mesure est-elle nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif qu’elle poursuit.

Assurément la loi instaurant la possibilité de mettre en place un passe sanitaire l’est et il ne pouvait en aller autrement.

Sur la nécessité, le Conseil constitutionnel a laissé, comme le droit le prévoit, une marge d’appréciation au législateur. Il s’est simplement contenté de vérifier que le Parlement s’était appuyé sur deux avis du conseil scientifique des 6 et 16 juillet dernier. Nous savons depuis près de deux ans ce qu’est une épidémie et ce qu’impliquent les rebonds, la trajectoire exponentielle des courbes et le décalage entre hausse des contaminations et hausse des admissions en réanimation. La vérité du mois d’août n’est pas celle du mois de septembre et le risque de surcharge de l’hôpital existe. On pourra seulement regretter la précipitation issue de la déclaration du 12 juillet 2021 pour un phénomène, le rebond épidémique, largement prévisible.

Sur la question de l’adaptation de la mesure, on pourrait douter de l’efficacité sanitaire réelle du passe, car un QR code n’a jamais empêché un virus de circuler. Pour autant, en tant qu’il constitue une incitation à la vaccination – certes le vaccin n’empêche pas la transmission mais il limite fortement le risque de surcharge des hôpitaux-, ce dispositif apparaît adapté pour répondre à la menace.

Enfin sur la question de la proportionnalité, il faut bien reconnaître que l’introduction d’un tel dispositif ne doit pas être considérée comme une simple formalité. Il s’agit ni plus ni moins de la mise en place d’un laisser-passer pour les actes de la vie courante. Il ne peut donc être viable que s’il est accompagné de garanties, en particulier que le dispositif de contrôle ne s’accompagne pas d’un recueil de données personnelles et qu’il soit strictement délimité dans le temps. Il l’est jusqu’au 15 novembre 2021.

Au demeurant, un tel dispositif consistant à présenter un QR code est bien plus supportable et nettement moins liberticide qu’un confinement généralisé, une obligation d’auto-attestation, des couvre-feux à répétition ou des fermetures de commerces dits non essentiels.

Le mauvais sujet de la discrimination

Un milliard de vaccinés dans le monde et la distribution du vaccin dans tous les pays, démocraties comme dictatures, républiques comme monarchies, devrait suffire à évacuer la question du « manque de recul » trop souvent alléguée pour justifier un manque de discernement.

Toutes les mesures sanitaires prises depuis mars 2020 caractérisent une précaution sanitaire extrême qui serait contradictoire avec la diffusion massive d’un vaccin considéré à risque. Manifestement, il vaut mieux attraper le vaccin que le virus.

L’institution d’un passe sanitaire constitue-t-elle une mesure discriminatoire ? Objectivement oui, car elle crée deux catégories de citoyens avec comme discriminant l’état de santé, en principe prohibé.

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Pour autant, le risque de rupture d’égalité doit être considéré comme étant un mauvais débat ; tout bon juriste sait que ce principe connaît des tempéraments à commencer par celui tiré des différences de situations appréciables entre les individus. Certains plus que d’autres, en étant davantage exposés aux formes graves de la maladie, risquent de contribuer à la surcharge du système hospitalier.

Il n’existe ni discrimination ni stigmatisation dès lors que l’Etat fournit facilement et gratuitement le vaccin. Par un choix libre et éclairé, la personne non vaccinée peut assumer ses propres responsabilités.

Que l’on sorte enfin de cette crise et de l’état d’urgence permanent

Bien évidemment, il ne faut pas voir le passe sanitaire comme l’outil miracle ou refuser de considérer que ce dispositif crée de fortes tensions.

J’ai l’humilité de penser que le passe sanitaire est décrié pour ce qu’il révèle -une situation sanitaire épuisante- plutôt que pour ce qu’il n’est pas, un dispositif liberticide.

L’exaspération est parfaitement légitime, en particulier au regard de la gestion de la crise : une parole publique dégradée (contradictions permanentes sur les masques, les vaccins, le passe sanitaire, et un président en t-shirt sur Tik-Tok) ; un bricolage de mesures alambiquées et incompréhensibles (distinctions des commerces essentiels et autres, masque à l’extérieur même lorsqu’on est seul, rayons de 10 km autour de chez soi et auto-attestation) ; un goût immodéré pour les procédures opaques (l’Etat d’urgence permanent, Conseil de défense).

Cela ne fait pas pour autant du passe sanitaire le symbole de l’arbitraire et ne justifie pas de faire exagérément pencher la balance du côté des libertés individuelles au détriment de l’intérêt général.



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