La meilleure comédie des années 70 se retrouve dans les rayons des supermarchés culturels. Il était temps. Miam, miam, on va pouvoir se régaler ! Vous en avez marre de la malbouffe télévisuelle, de tous ces films sans assaisonnement, bavards et progressistes, qui mettent le spectateur sur le banc des accusés. Vos papilles sont sèches. Votre œil pleure devant une telle inquisition médiatique. Cette nouvelle norme des milieux artistiques où la revanche et la bêtise tournent au vinaigre. Souvenez-vous du goût originel des acteurs, leur légèreté friable, leur abandon saisi sur le vif, les arabesques du scénario dignes d’une pièce montée particulièrement branlante, la poésie du dialogue et ce fond de sauce très français, recette inimitable de Pascal Thomas.
Courez acheter cette variation buissonnière entre drôlerie désenchantée et portrait acide de la société ! En 1976, son étude de caractère(s) pourfendait la vertu et s’amusait des compromissions dans une province languissante. Mais là, où tant de Torquemada de la caméra aurait noirci le trait, souillé et avili leurs personnages, le triple toqué Thomas restituait un fumet savoureux, le parfum des identités non trafiquées. Comme si le cinéaste avait croisé le chemin de la Rochefoucauld et de René Fallet. Moraliste des villes abandonnées, bibliophile averti dans une profession d’illettrés, il parlait intelligemment des espoirs forcément déçus, des amours incertaines et du comique des situations pour le moins confuses.
Une oeuvre sensible et hilarante
Qui n’a pas vu La Surprise du chef ne connaît rien de l’ennui départemental avant la mondialisation heureuse. Il y a dans cette œuvre sensible, hilarante et profondément dilettante, les marques d’un temps aujourd’hui aboli. Les Français cabotinaient sans penser au lendemain. Les corps se touchaient encore. La littérature mettait du vernis sur les relations. Les déconfitures de l’existence se partageaient à l’heure de l’apéro. Le zinc remplaçait le bureau des plaintes. A sa sortie, La Surprise du chef enthousiasma la critique. Paul Gégauff alla même jusqu’à évoquer la patte de Marcel Aymé. Claude Chabrol y reconnaissait « l’esprit des Bonnes Femmes ». Maurice Pialat s’emballait pour « les scènes de drague les plus justes nourris d’un sens du dérisoire ». Et François Truffaut professait : « Dans ce film fait de bric et de broc, on découvre un cinéaste qui sait se jouer des aléas et les retourner le plus souvent à son avantage ». Alors que triomphait le réchauffé L’Aile ou la Cuisse sur les écrans, l’imbroglio tragi-comico-sentimental de Pascal Thomas réussissait à se faire une place de choix parmi les cinéphiles fins gourmets.
Ces deux héros, Papinou, déplorable restaurateur en quête d’une étoile et Hubert (Hubert Watrinet), ex-localier d’un obscur canard de Bretagne devenu une sorte de JJSS de la presse parisienne, avaient sorti le grand jeu. Joutes verbales insensées, gaudriole à tous les étages, approches foireuses, le réalisateur des Zozos et du Chaud lapin ne lésinait pas sur la cabriole. La longue plainte de Papinou qui demande de l’aide à son vieux camarade mériterait d’entrer à la BNF. Tout charme dans cette mayonnaise à l’implacable maïeutique, la musique de Vladimir Cosma qui rappelle le générique de la sérié Sam et Sally, le bruit du baby-foot dans la nuit, un wagon de Micheline qui facilite les rapprochements, une équipe de foot branquignolesque, des bals aussi retors que la méthode Ogino, des piques contre Montand et Labro, des intérieurs au mobilier dépressif, la présence de Jacques Debary, le commissaire Cabrol des Cinq dernières minutes en directeur de journal, Henri Gault et Christian Millau en personne ainsi que deux comédiennes Virginie Thévenet et Annie Colé dotées d’un naturel désarmant.
A la limite de l’équilibre, cette farce ne tombe jamais dans les travers de la grosse poilade. C’est de la grande cuisine inventive, tantôt boulevardière, tantôt érudite, toujours parfaitement dosée. A consommer donc sans modération !
La Surprise du chef, film de Pascal Thomas – DVD Artedis.
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