Jusqu’au 14 octobre prochain, la Cinémathèque française propose une rétrospective « Pascal Thomas » dont le prochain film « Le voyage en pyjama », sortira en 2024
Et si c’était le dernier romantique du cinéma français ? Aucune provocation dans cette affirmation. Aucune goguenardise subliminale de ma part. Pascal Thomas a toujours fait le pari du marivaudage cabossé, du tendre piquant, de l’amoureux déclassé et du débonnaire enflammé. Il croit en la possibilité d’un rapport entre les hommes et les femmes, un rapport qui ne serait pas forcément durable ou heureux, ni réussi ou dramatique, car le ratage souriant et la nostalgie épidermique accompagnent sa filmographie depuis les années 1970. Pourquoi aime-t-on tant les films de ce joueur extralucide venu des provinces lointaines ? Parce qu’il y a encore les traces d’une humanité rieuse, de l’amateurisme des « premières fois », des tentatives absurdes et splendides d’arriver à ses fins, du long écoulement de la vie, du suintement des existences banales et de l’écho des bibliothèques familiales dans son cinéma.
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Chez Pascal Thomas, point d’arêtes franches, de misère accablante ou de thèses assénées à coups de zooms inquisiteurs; le réalisateur travaille dans l’organdi, le froissé et défroissé des sentiments, dans cette banalité du quotidien qui se révèle foisonnante d’aventures. Il ne pontifie pas, ne sermonne pas ses acteurs, ne se place jamais en position de démiurge sur un plateau ; au contraire, il s’efforce d’en gommer le pathos sans pour autant occulter le malaise naissant, il fait éclore dans l’espace ménager, scolaire, amical ou professionnel, des rencontres improbables, incomplètes, incongrues dont on ne sait pas où et comment elles aboutiront. L’inconnu est notre destin commun. Pas un inconnu béat, un inconnu mièvre et sirupeux, un inconnu sociologisé, plutôt un inconnu amusé, gorgé de sève et de tâtonnements, un inconnu des campagnes et des banlieues, un inconnu charnel aux échafaudages fragiles et délicats. C’est là que réside son talent, dans cet entre-deux, où la farce et l’émotion, où l’érotisme ébréché et les ébats affleurent. Comme s’il n’avait pas vraiment choisi son camp, entre la comédie romantique pur jus et l’humour patenté, d’où parfois une incompréhension de la critique officielle qui ne saisit que les autoroutes de la pensée et les voies à sens unique ; au sérieux bétonné de sa profession, il a toujours choisi l’esquive, l’échappée, la fuite, la rêverie, le trajet en Micheline, le quiproquo au démago, le pédalo au mégalo, la passion rurale au drame sociétal.
Ce pudique est l’un des derniers réalisateurs littéraires qui sachent écrire et lire, entre les imprimés de Léautaud et l’imagerie de John Ford, son cœur balance. Il croit en la possibilité d’un art de la narration et aux vertus du dialogue dans un métier qui se sert souvent des mots comme d’armes d’intimidation. Ces héros hâbleurs, possédés par la fesse, volontiers fanfarons et mystificateurs, sont des imaginatifs contrariés, perdus dans un monde sans rémission possible, un monde technique et instrumentalisé, un monde qui a horreur du friable et de sa beauté populaire. Un film de Pascal Thomas se regarde d’un wagon ou à bord d’une péniche, à la dérobée, à la sauvette; on observe alors une autre France se mouvoir, déplier sa tapisserie, gesticuler dans ses contradictions et nous toucher par sa permanence juvénile. Intacte. Ce cinéma-là n’est pas passéiste, il est absolument intimiste, débarrassé de tous les discours formatés, il n’a pas vocation à dénoncer une situation oppressante. Pascal Thomas n’est pas un justicier de la pellicule, il a inventé une forme de naturalisme onirique, à mi-chemin entre le divertissement et une recherche d’éternité. Il navigue entre cet absolutisme et une distance ironique. Rares sont les réalisateurs à emprunter ces chemins non balisés, piégeux car ils ne prennent pas le spectateur pour un idiot utile. Quand on sort d’un film de Pascal Thomas, on est pris de réactions diverses, on a ri, on a été émoustillé, on a été aussi secoué par certaines scènes, par leur offensante vérité. Et puis, devant nos yeux, défile le décor d’un pays que l’on croyait disparu. Cette province tant honnie qui a sédimenté nos histoires personnelles. Un cinéma estampillé « Logis Hôtels et Restaurants » qui n’aurait rien de réducteur ou de réactionnaire. C’est mal connaître la fièvre intérieure des localités oubliées, loin des métropoles. Cet été, j’ai eu la chance de voir en avant-première, « Le voyage en pyjama », son prochain film qui sortira en 2024. André Dussollier, présent dans la salle, était ému. Comme moi, il a été sensible à cette folle liberté et cette onde qui se propage comme un songe. Pascal Thomas est l’admirable conteur des sous-préfectures. Dans le cadre de la rétrospective qui vient de débuter à la Cinémathèque, « Le Chaud Lapin » sera présenté par Bernard Menez et Pascal Thomas, aujourd’hui, en fin d’après-midi, à 18 h 00 salle Georges Franju.
Informations pratiques sur le site de la Cinémathèque.
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