Sous vos applaudissements, l’Heure des Pros amuse, divertit, agace et informe
Autrefois, on disait entre initiés, hier soir, je suis allé au Français avec la mine gourmande. Quelle mise en scène, mes amis ! Et le jeu des acteurs, le respect du texte sans un classicisme trop corseté, la liberté dans la contrainte, l’essence même du théâtre, Molière et Racine veillaient au grain en ce temps-là, l’esprit pétillait à tous les actes, les vers coulaient sans une fausse note, la jeune première avait l’innocence d’une rosée de printemps, la vieille douairière était tordante de rire, les barbons s’enferraient dans leurs certitudes, les servantes montraient juste ce qu’il fallait de leur gorge satinée pour réveiller les spectateurs endormis du premier rang, même les hallebardiers n’avaient pas l’air de s’ennuyer. Le public parisien pouvait encore s’enorgueillir d’avoir accès à cette qualité immémoriale, par nature indémodable, alors que Londres la baroque, se vautrait dans le théâtre expérimental. Ne parlons pas de New-York qui a toujours psychologisé les planches, Freud y avait hérité d’une chaire de diction. Dans les Académies de comédie, les élèves ânonnaient, se croyant possédés par leur art oratoire. Les pauvres enfants, ils confondaient engagement et servitudes du métier. Même dans les séries Z, on jouait avec plus de sincérité et d’intensité. À Paris, jadis, Jouvet tançait les falsificateurs et les têtes boursouflées qui encombrent les cours du soir. Il gardait le cap de notre identité tatillonne et perfide.
Deux représentations par jour
Maintenant que les théâtres sont fermés depuis quatre semaines, les amateurs de « beau jeu » se rabattent, deux fois par jour, devant L’Heure des Pros sur CNews. La direction de la chaîne penserait même ouvrir la billetterie en matinée pour une troisième représentation. L’intérêt de cette émission tient à son maître de cérémonie, Pascal Praud, tantôt patelin, tantôt rieur ; ne supportant pas le temps mort, ayant à la fois la vis comica féroce et la faconde du bon bourgeois de province. Quelle plasticité ! Il feint l’ignorance pour mieux contrer ses adversaires, méfiez-vous, quand il retient ses coups dans un premier élan, la contre-attaque est ravageuse. On se régale de son numéro de duettiste à lui seul. Il est, tour à tour, Roger Pierre et Jean-Marc Thibault, ou pour ceux qui s’en souviennent, Philippe Noiret et Jean-Pierre Darras. Il alterne les rôles, s’adapte à la situation, ses interviews ne sont jamais statiques, il peut dans une même question, être vache ou tendre la patte, provoquer ou flirter, en dernier ressort, c’est lui qui demeure le métronome des débats. Un animateur lettré, ça fait quand même toute la différence à la télé.
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À l’évidence, on se marre dans ce drôle d’espace, à mi-chemin du zinc et du forum romain, quand le sérieux du propos n’est pas totalement dénué de second degré. Contrairement à la plupart de ses confrères, Praud est un grand lecteur, il a lu Guitry et Léautaud, Blondin et Malaparte, il aime Hidalgo (Michel) et Lino (Ventura), il est ému comme un gosse face au commandeur Delon et le cinéma de Philippe de Broca l’emplit de joie. Un homme qui vénère ces films-là, à la nostalgie entêtante, épidermique à l’évidence, aura toujours mon estime.
La télévision grossit les traits
Comme les acteurs qui sortent du Conservatoire, il est attentif aux autres sur le plateau, il est réceptif aux moindres fluctuations, aux baisses de rythme comme aux emballements intempestifs, ce qui donne à cette info-divertissement une belle fluidité d’écoute. Je le compare à un Border Terrier qui aurait inversé les rôles. C’est lui qui envoie la balle à ses chroniqueurs, il s’amuse avec eux, les rabroue ou les cajole, leur fait la morale et malgré tout, les laisse s’exprimer quitte à se ridiculiser. Il a instauré sa dramaturgie, elle répond à une mécanique très étudiée. Son entrée en scène sera bientôt enseignée au Cours Florent. Lunettes rouges sur costume à rayures tennis, tête légèrement penchée, sourire à la limite du narquois, une gaité dans le ton, et puis, il déroule, fait la retape de son barnum du jour. Dans cette troupe composite, chacun a fini par creuser sa propre veine, construit au fil des semaines, son personnage, le densifiant au risque parfois de se caricaturer. La télévision grossit les traits, c’est pour ça qu’elle est addictive. Peu importe, l’outrance, le débordement, les égos qui craquellent, les approximations, il y a un véritable plaisir à regarder ce garçon et sa bande. Bien sûr, on peste devant son écran, certaines interventions nous font bondir, d’autres nous confortent dans nos positions, on a ses chouchous, mais quand le rideau tombe à 21 heures, on félicite les artistes et surtout leur meneur de revue. Merci pour ce moment !
L’Heure des pros, le matin à 9 heures sur Cnews (canal 16)
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