« Pépère ». « Monsieur Faible ». Voilà comme les hebdos surnomment le chef de l’Etat après les deux semaines les plus éprouvantes depuis le début de son mandat. Dix mois après son élection, François Hollande est déjà l’un des présidents les plus impopulaires de la Ve République.
Être impopulaire, après tout, n’est pas si grave, surtout dans le contexte économique et social actuel. Ses prédécesseurs ont survécu à leur cote dans les sondages. Mais, chez François Hollande, le mal est plus profond. Son autorité est d’autant plus contestée qu’il l’a rendue lui-même contestable. Comme Nicolas Sarkozy qui voulait désacraliser la fonction et à propos duquel Alain Finkielkraut, dès le début du précédent quinquennat, avait dit qu’il ne « voulait pas d’un chef de l’Etat en sueur et en short », Hollande a voulu se dépouiller de la majesté que confère la fonction présidentielle. Le président normal était peut-être un slogan efficace pour la primaire du Parti socialiste[1. N’oublions pas que ce slogan date de « l’avant Sofitel » et qu’il était, au départ, davantage destiné à combattre la candidature de DSK que de celle de Nicolas Sarkozy. Ce n’est qu’ensuite qu’il l’a recyclé contre le président sortant. ], cela ne peut en aucun cas constituer un guide pratique pour le Chef d’Etat d’une des plus vieilles nations du monde.
Cette vieille nation qui est aussi l’une des plus grandes puissances de la planète ne saurait avoir à sa tête un chef dépourvu de la moindre autorité. Cette dernière doit être restaurée pour éviter une crise de régime grave. Elisabeth Lévy expliquait que la faute d’un homme, en l’occurrence Jérôme Cahuzac, ne devait pas provoquer une telle crise. Dans un monde idéal, elle a bien évidemment raison. Mais l’affaire Cahuzac n’aura finalement été que le révélateur de l’affaiblissement de l’autorité présidentielle. Ce n’est pas un hasard si les ministres contestataires en profitent pour remonter au créneau. Arnaud Montebourg et Cécile Duflot avaient déjà rué dans les brancards. Ils sont repartis à l’assaut, cette fois-ci accompagnés de Benoît Hamon, resté jusqu’ici très discipliné. Hollande a beau faire, a beau dire, il peut passer à la télé, faire des propositions, des chocs (de simplification, de compétitivité ou de moralisation), il est contesté quoi qu’il arrive. Claude Bartolone, président de l’Assemblée Nationale, vient à son tour de le contredire publiquement en expliquant que la publication du patrimoines des élus ne constituait pas l’idée du siècle[2. Pour notre part, nous la trouvons grotesque. La publication sur son blog, du patrimoine de Jean-Noël Guérini mercredi après-midi, constituant l’épisode le plus drôle du feuilleton.].
Que peut donc faire le président pour provoquer un choc d’autorité ? Comme il n’a aucune intention d’organiser une nouvelle élection présidentielle, et que nous doutons qu’il réédite la dissolution chiraquienne d’avril 1997[3. On a pu entendre des commentateurs qui trouvaient que cela avait pu être une bonne idée, permettant à Jacques Chirac d’être réélu en 2002. C’est oublier le contexte de 1997. Qui pouvait penser au scénario du 21 avril 2002 ? Certainement pas Jacques Chirac, qui a dissous parce qu’il ne voulait pas changer de premier ministre et conserver son Juppé chéri. Du coup, il a eu Jospin. ], il ne reste en réalité qu’une seule solution à François Hollande : changer de premier ministre. C’est peu dire que Jean-Marc Ayrault n’est pas à la hauteur de la situation. Dès le début, il s’est avéré être une grave erreur de casting. Nous avions expliqué entre les deux tours de l’élection présidentielle en quoi le scénario de l’élection en désignait un autre. Mais choisir un tel profil de premier ministre, absolument pas complémentaire de celui du président, constitua une circonstance aggravante. À côté de l’homme pondéré et calme qu’il comptait incarner après le quinquennat Sarkozy, il fallait un homme d’action, quelqu’un capable de traverser des Ponts d’Arcole, d’être un D’Artagnan, une personnalité qui ne laisserait pas indifférent. Le problème avec Jean-Marc Ayrault, lorsqu’on en discute avec des amis, ce n’est pas qu’on l’aime ou qu’on le déteste, c’est qu’on s’en fiche. Pire, il s’humilie lui-même en reconnaissant publiquement qu’il a encaissé des propos sévères de la part d’un de ses ministres. Aujourd’hui, il est un fusible grillé, même en ayant très peu protégé le Président. Il faut remplacer d’urgence le fusible et bien choisir la marque.
Bien choisir la marque nécessite d’installer une personnalité complémentaire qui pourrait jouer ce rôle de fusible durable et efficace. Certains noms qui ont circulé ces dernières semaines nous laissent pantois. On parle de Michel Sapin voire de Marisol Touraine. Nous n’avons personnellement rien contre ces deux ministres mais convenons tout de même qu’il est difficile de se les imaginer sur un Pont d’Arcole. Ces deux personnalités seraient très vite affublées de l’étiquette d’Ayrault-bis. Et le fusible serait grillé très vite. En réalité, on ne voit dans l’actuel gouvernement que deux ministres capables d’aller à Matignon et de concentrer sur eux toute la lumière, permettant au Président de souffler un peu et se consacrer à l’essentiel, le duel franco-allemand sur la question de l’austérité, bataille qu’il jure ne pas avoir abandonnée. Seuls, en effet, Manuel Valls et Arnaud Montebourg présentent ce profil[4. Certains ont pu évoquer Christiane Taubira, qui n’est pas mal dans le genre non plus, mais le fait qu’elle ait conduit la réforme du mariage constitue un chiffon rouge pour ses opposants, alors que le Président a semble-t-il choisi de calmer le jeu sur cette question.].
Valls, nous l’avions donc expliqué, aurait dû être nommé en mai dernier. Il a l’avantage d’avoir la meilleur cote de popularité, ce qui lui laisse de la marge pour prendre des coups et jouer son rôle de fusible. Dans le contexte actuel, il a un inconvénient : être lié à Stéphane Fouks, l’homme de la communication de DSK et de Cahuzac. Arnaud Montebourg, lui, aurait l’avantage de donner un signe à la fois à l’électorat de gauche et à Angela Merkel. Elle pourrait même signifier une crise ouverte avec l’Allemagne, laquelle crise ne fait même plus peur à Alain Duhamel, c’est dire si cette perspective n’est plus aussi irresponsable qu’elle paraissait encore il y a quelques mois aux yeux du monde politico-médiatique. L’inconvénient d’Arnaud Montebourg, c’est qu’il risque d’être totalement incontrôlable.
Il est fort possible que François Hollande ne suivra pas nos conseils, à supposer qu’un conseiller ait la bonne idée de lui imprimer. Dans ce cas, il nommera peut-être Pascal Lamy à Matignon. Nous aurions alors notre Mario Monti. Angela serait contente. Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, aussi, se rêvant en Beppe Grillo.
*Photo : Parti socialiste.
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