Pascal Bonafoux publie un guide anachronique de Rome qui s’écarte des sites touristiques et des réflexions convenues
Aujourd’hui, si le livre sort du cadre marchand, sa viabilité ne sera plus assurée, on ne donnera pas cher de sa peau. Il doit se plier au pitch, à la bouillie intellectuelle du moment et aux facilités de langage. Oubliez le style et l’étrangeté, l’hybridation et le cocasse, la phrase sauvage et l’érudition primesautière, misez plutôt sur l’argumentaire mâchonné et les idées molles dans le vent pour sa réussite commerciale.
Pascal Bonafoux, historien de l’art, déjoue les mécanismes fainéants de notre époque en proposant un Guide anachronique de Rome à l’usage de ceux qui se demandent pourquoi elle est la seule ville éternelle aux éditions arléa.
À la fois manuel savant hautement historique, réflexions littéraires qui décrassent la tête, goût du paradoxe et du saute-mouton chronologique, ce guide ne déroule pas une fatuité linéaire et n’enfile pas les poncifs. Il surprend par sa charge poétique, ses références précieuses et son dilettantisme souverain, une forme de détachement qui sied aux meilleurs universitaires de notre pays.
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Un livre qui ne suit aucune trace préétablie, qui ne s’inscrit dans aucune mode factice, qui promène seulement son lecteur entre Nicolas Gogol et Fellini, Dickens et Joachim du Bellay, Nicolas Poussin et Charles Dupaty, qui passe de la louve à Alberto Moravia, d’un pape oublié aux indulgences de Boniface VIII, d’un trait de plume facétieux et inspiré. Sur les conseils de Stendhal qui écrivait: « Je dirais aux voyageurs: en arrivant à Rome, ne vous laissez pas empoissonner par aucun avis; n’achetez aucun livre, l’époque de la curiosité et de la science ne remplacera que trop tôt celle des émotions », Pascal Bonafoux estime lui aussi qu’un tel guide aussi riche qu’ennuyeux « désorienterait » le visiteur, serait même un frein à la communion. Un tue-l’amour. « Car il (vous) priverait du dialogue singulier qu’est, à Rome, celui des ruines et du faste. D’un faste qui ne serait pas ce qu’il est sans les ruines » conclut-il. A Rome, les ruines sont un manteau d’hermine souvent trop encombrant, trop chaud, trop solennel, trop aveuglant et cependant nécessaire à une forme de désœuvrement, voire de découragement intérieur. La « ville éternelle », poussiéreuse et pesante, déploie une langueur qui s’infiltre en vous et ne vous quitte plus. Malgré ses millions de touristes qui se déversent chaque année dans son centre-ville, elle ne lâche rien, impénétrable et indolente, hiératique, elle se moque, elle vous nargue, elle vous capture à votre insu. Elle m’inspire un sentiment d’épuisement à force de vouloir toucher son absolu. Elle sent le ragoût et les tripes, les entrailles du monde civilisé.
Le Tibre et sa couleur douteuse perturberont longtemps vos songes. « Il y a peu d’autres villes qui, comme Rome, peuvent prétendre être une cité palimpseste: un parchemin manuscrit dont on a effacé la première écriture pour pourvoir écrire un nouveau texte, telle en est la définition. Et elle aura été la première à l’être » souligne l’auteur. Alors, nous continuons à l’explorer, en s’exilant jusqu’à Garbatella ou en se promenant du côté de Testaccio, avec le guide Bonafoux sous le bras, comme un acte de résistance à la pensée unique.
Guide anachronique de Rome de Pascal Bonafoux – arléa
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