« Mahmoud Abbas rajeunit les cadres du Fatah » – voilà le résumé donné par la presse du Congrès du Fatah, principale force politique palestinienne, qui vient de s’achever à Bethléem. En réalité, ce scénario est à côté de la plaque : les « jeunes cadres » ont liquidé la « vieille garde ». Car si Abou-Mazen – le nom de guerre d’Abbas – est maintenu à la tête du mouvement, il le doit au fait que les « jeunes Turcs », divisés, préfèrent pour le moment cette solution intérimaire. Marwan Barghouti, Mohammed Dahlan et Jibril Rajoub, trois figures de proue du mouvement, l’ont donc laissé à la tête de l’Autorité palestinienne le temps de régler la lutte qu’ils mènent pour l’héritage de Yasser Arafat.
Pour le moment, le plus en vue des trois est Marwan Barghouti, 51 ans, étoile montante de la politique palestinienne. Cet ancien leader étudiant de Bir Zeit s’est distingué pendant la première Intifada comme agitateur et organisateur talentueux, l’un de ceux qui ont volé la vedette aux « Tunisiens » qui avaient suivi Yasser Arafat dans son périple révolutionnaire depuis les années 1950-1960 jusqu’à l’exil maghrébin de 1982-1994. Cette première initiative stratégique de « l’intérieur » (les Palestiniens de la Cisjordanie et de la bande de Gaza nés après 1948) a obligé Arafat et « l’OLP Tunis » à suivre.
Expulsé par Israël en 1987, Barghouti rentre à la suite des accords d’Oslo et devient secrétaire général du Fatah en Cisjordanie. Parallèlement, il a été chargé par le « raïs » de veiller au développement d’une branche armée, les Brigades des martyrs d’al Aqsa. Toujours soucieux d’avoir plusieurs fers au feu, le Vieux entendait ainsi empêcher ses jeunes d’aller chez la concurrence islamiste – mais surtout armée – du Hamas. Pendant la deuxième Intifada, l’activité de cette milice a pris de l’ampleur (une vingtaine d’attentats entre octobre 2000 et mars 2002, tuant 25 personnes majoritairement civiles), ce qui a abouti en mars 2002 à l’arrestation de Barghouti par Israël. Condamné pour cinq meurtres, il purge une peine de cinq réclusions à perpétuité.
Pour Mohammed Dahlan et Jibril Rajoub, ses deux principaux rivaux, l’incarcération de Barghouti permet de gagner du temps. Libre, il les aurait sans doute pulvérisés politiquement. Celui que les amateurs de lieux communs faciles appellent « le Mandela palestinien » est l’un des seuls à être considéré comme « propre » par l’opinion publique palestinienne. En revanche, pendant les années Oslo Dahlan et Rajoub, chacun à la tête d’un organisme de sécurité – conformément à la stratégie d’Arafat d’éparpillement du pouvoir – créent de véritables baronnies. Né à Khan Younès, Dahlan devient l’homme fort de la bande de Gaza, chouchou des Américains et des Israéliens. Son goût prononcé pour le luxe lui aurait sans doute été pardonné s’il était parvenu à tenir son principal engagement tout autant vis-à-vis de Ramallah que de Jérusalem et Washington : tenir Gaza et empêcher la montée du Hamas.
Rajoub, pour sa part, a joué un rôle important en Cisjordanie où le problème est moins de contenir les islamistes – encore relativement faibles sauf à Hébron – que d’assurer la sécurité d’Israël. Rajoub, qui se faisait fort d’arrêter la lutte armée a bénéficié de la confiance des Etats-Unis et de l’aide matérielle qui allait avec. Sa chute, comme celle de Dahlan, s’explique par deux raisons : le petit empire qu’il a créé en a irrité plus d’un et sa critique de la deuxième intifada (selon lui stratégie suicidaire sans logique politique) l’a fait passer pour « collabo » aux yeux de l’opinion publique palestinienne.
Au sein de la « jeune génération », Barghouti, le moins impliqué dans la corruption des années 1990, semble donc le mieux placé pour prétendre, l’heure venue, à la succession. Héros (probablement malgré lui) de la deuxième intifada, il est aussi, aux yeux de l’opinion, le moins compromis de la « génération réformiste ». À quoi il faut ajouter l’aura que lui confère son statut de prisonnier.
Le congrès de Bethléem ne fait donc que prolonger la parenthèse ouverte en 2004 avec la mort d’Arafat et confirmée avec la défaite du Fatah aux législatives de 2006. Concernant le leadership autant que la stratégie, le mouvement national palestinien est politiquement au point mort.
Face au Hamas, on ne voit guère ce que Mahmoud Abbas pourrait tenter qu’il n’ait pas déjà tenté. La même question est valable aussi vis-à-vis d’Israël. Même s’il se trouvait aujourd’hui face à un gouvernement israélien colombe pur sang, l’actuel président de l’Autorité palestinienne, politiquement faible depuis la victoire du Hamas et constitutionnellement illégitime depuis le 9 janvier dernier[1. Elu président de l’autorité palestinienne le 9 janvier 2005, son mandat est arrivé à son terme au soir du 8 janvier 2009. Le schisme entre la Cisjordanie et la bande de Gaza empêchant des nouvelles élections, la légitimité de l’actuel gouvernement est constitutionnellement douteuse.], n’a pas l’autorité politique et morale pour accepter – c’est-à-dire faire respecter – un compromis avec Israël qui incluera au minimum une partage de la souveraineté des lieux saints et un renoncement au moins partiel au droit au retour. La « génération du désert » incarnée par Abbas s’éclipse après avoir, il est vrai, accompli un exploit : créer un Etat palestinien embryonnaire en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Aux trois mousquetaires du Fatah de la génération de l’intérieur – sans doute avec un d’Artagnan issu du Hamas – échoue la tâche d’unifier les Palestiniens, de construire un Etat digne de ce nom et de parvenir à un accord avec Israël. Mais pour cela, ils devront commencer par s’entendre et par mettre leurs rivalités en sourdine. Ce n’est pas gagné.
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