On parle de moins en moins de la Syrie dans les médias. Pourtant, la répression entre dans son septième mois et si les cortèges traditionnels du vendredi sont de plus en plus clairsemés, le recours aux armes contre l’armée se banalise. Cette guérilla est probablement le fait de groupes de déserteurs dont le nombre ne cesse de se multiplier.
Un tel phénomène, qui inquiète le régime mais aussi l’opposition partisane d’une stratégie de contestation pacifique, touche aujourd’hui la ville de Rastan, traditionnellement pourvoyeuse de militaires. Signe de la fébrilité voire de la panique qui règne en haut lieu, l’aviation – jusqu’alors très rarement sollicitée – a été appelée à la rescousse pour bombarder ce bastion de la tradition militaire syrienne. Mais le régime peut prendre ce risque. Même si l’usage de la force aérienne apporte de l’eau au moulin de ceux qui réclament une zone d’interdiction aérienne, les arrières diplomatiques de Damas sont solidement couverts par Moscou et Pékin, ce qui neutralise pour le moment le Conseil de sécurité des Nations Unies.
Quant à l’opposition, elle reste incapable d’apporter à la Ligue arabe et aux grandes puissances la base nécessaire sur laquelle construire un projet d’intervention ou, a minima, d’accompagnement diplomatique et matériel. Fragmentée dans une myriade de groupuscules qui vont des nassériens aux libéraux laïcs en passant par les Frères Musulmans, les anti-Assad ont beau s’être fédérés dans une sorte de CNT installé en Turquie[2. Le SNC, Syrian National Council], contrairement aux rebelles de Benghazi, ils n’ont pu « libérer » la moindre place al-Tahrir du joug baasiste.
Le résultat est une impasse qui dure. D’un côté, des opposants historiques comme Radwan Ziadeh exhortent les Nations-Unies de mettre en place une zone d’exclusion aérienne afin d’entraver la répression -au moins aérienne- de la contestation. De l’autre, Bachar et ses séides se murent dans le déni et l’aveuglement propres aux fins de règne, prétendant que l’opposition s’essouffle et que tout rentrera bientôt dans l’ordre – comme le président syrien l’a récemment déclaré à l’ancien premier ministre libanais Salim al-Hoss. Les difficultés économiques qui s’aggravent n’arrangent pas les choses, la tension monte et la situation s’envenime.
Ces derniers jours, une dizaine d’assassinats ciblés ont ainsi aggravé la paranoïa générale, sur fond de méfiance politico-confessionnelle. Mercredi matin à Homs, le meurtre d’un ingénieur nucléaire alaouite a suivi ceux de plusieurs directeurs d’université et d’hôpital, tous issus des minorités religieuses qui constituent la base confessionnelle du Baas syrien (chrétiens, ismaéliens…). Immédiatement, l’agence de presse officielle a imputé ces morts mystérieuses à un groupe terroriste inconnu, signataire d’un appel à propager la violence en Syrie diffusé le 18 septembre. Comme souvent, on ne sait quel crédit accorder à une information largement sujette à caution. Ces actes rappellent la stratégie de l’armée algérienne dans les années 1990. Le modèle d’une guerre sale qui fut, rappelons-le, victorieuse pour le régime d’Alger, pourrait tenter Damas. Depuis le feuilleton libano-palestino-syrien du Fatah al-islam [1. Groupe salafiste armé qui se fit connaître à l’été 2007 lorsqu’il tint tête à l’armée libanaise avant de capituler au terme du siège du camp de réfugiés palestiniens de Nahr-al-Bared, près de Tripoli. Plusieurs éléments troublants, à commencer par les circonstances inexpliquées de la mort de son leader Chaker Al Absi, suggèrent un double jeu des services secrets syriens afin de semer le chaos au pays du Cèdre.], la créativité des services syriens et leur capacité à souffler sur les braises chaudes du salafisme ne sont plus à prouver… Après tout, peu importe.
Qu’ils soient ou non le fait de barbouzes des moukhabarat[3. Littéralement « renseignements » : services de sécurité militaires qui forment une garde prétorienne au service du clan Assad], ces attentats jouent objectivement en faveur des Assad, qui manient le sempiternel argument : « Moi ou le chaos ».
Côté kurde, les effets d’une des seules concessions lâchées par Assad depuis mars – la régularisation de 500 000 Kurdes apatrides – s’estompent. Six mois plus tard, à peine 10% ont reçu leurs papiers et bien que tout le monde comprenne l’inertie de Damas – qui n’entend pas abandonner ce gros bâton- de plus en plus de Kurdes envisagent déjà l’après Assad et la perspective enivrante d’une autonomie – voire plus – à l’irakienne. S’ils craignent toujours de se trouver en première ligne, les militants kurdes sont de plus en plus décidés à ne pas fermer les cortèges de manifestants.
A mesure que la chute des Assad devient inéluctable, la perspective d’une foire d’empoigne nationale gagne en probabilité. L’après-Assad pourrait en effet menacer la vie de millions de citoyens, assignés à l’assassinat à cause de leur confession ou de leur degré d’allégeance présumée à l’ancien régime. La violence déchaînée, d’ailleurs en grande partie imputable aux scories des Assad, risque donc de finir grande gagnante du bras de fer entre les manifestations populaires et le feu grégeois de l’appareil affairo-militaire qui tient encore Damas.
De quoi calmer adeptes de solutions humanisto-militaires à la libyenne, mais de quoi inquiéter les tenants la froide realpolitik et de la non-intervention.
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