Lorsqu’en 1993 le règne du premier président socialiste de la Vème République française, François Mitterrand, était à bout de souffle (gouvernance menée depuis 1981 dans les obscurs dédales d’une idéologie structurellement incohérente, n’ayant en fin de compte qu’une seule finalité : conserver le pouvoir contre vents et marées pour camoufler, derrière une victoire à la Pyrrhus, l’absence de logique et d’homogénéité de sa vision pseudo-gauchisante de la société), que restait-il des promesses de sa campagne présidentielle sinon la théâtralité de la rose rouge entrée au Panthéon dans la main du candidat vainqueur ?
La mise en scène de cette marche grotesque, calquée sur l’entrée du général de Gaulle à Paris en août 1944, transformait l’Histoire en spectacle de foire. Déjà le Capitaine Fracasse occupait l’Elysée. Car cela faisait si longtemps que le nouvel homme de gauche, passé par la francisque vichyssoise, rêvait d’être celui que l’on admirerait et haïrait à la fois ! Un de Gaulle, mais au petit pied gauche ! Un de Gaulle. Cet adversaire de toujours, au courage de bronze, que le cours d’une vie sans taches avait habillé d’une lumière nationale inaltérable pour avoir libéré la France de ses deux occupants : celui de l’extérieur et celui de l’intérieur. Hitler et Pétain. Mais François Mitterrand, libérateur de quoi ? De la finance ? Du pouvoir supposé de la bourgeoisie ? De la tutelle américaine ? D’une justice aux ordres des politiques ? Des scandales au plus haut sommet de l’Etat ? Allons, en tout cela il fut un maître en permanence. De l’extrême-droite, alors ? Que nenni, elle était totalement inexistante jusqu’à lui et nul n’ignore aujourd’hui que le Front national lui doit tout. La faillite de la France, l’écrasement du Parti communiste, la proportionnelle – inestimable cadeau – jetèrent l’électorat ouvrier dans les bras de Jean-Marie Le Pen. Ultime tartuferie d’un politicien vieilli et usé ne pouvant plus se cacher derrière la moindre image d’Epinal d’une gauche plus vieillie et plus usée encore que lui-même. Se posait alors le bilan sans concession de ce que l’on appelait à l’époque « l’expérience socialiste », expression terrible pour ceux qui avait cru voter pour un « changement socialiste ». Bernés dès le départ. Tout ce remue-ménage n’était rien d’autre qu’un ballon d’essai. Une simple tentative. Une improvisation idéologique. Voilà donc à quoi nous avait conviés François Mitterrand, à grand renfort de tambours de Valmy et d’envolées lyriques signées Rouget de Lisle. Artifices grossiers élégamment rangés dans la boîte à outils socialiste.
L’Occident, en 1989, avait dansé sur les ruines du mur de Berlin mais, pour une gauche extrême, certaines pratiques soviétiques apparurent alors solubles dans notre démocratie. Entre autres, estampiller un nouvel enseignement ayant abandonné les fondamentaux des hussards noirs de la République pour déverser sans honte ses fausses vérités premières dans les chères petites têtes enfantines. Malléables. Naïves. Soumises. Mais aussi encarter le plus de médias possibles. Et encore ouvrir la société dans son ensemble à la médiocratie, celle de la télévision de Berlusconi (la Cinq alors en l’occurrence) ou bien à l’information permanente, celle des radios libres chargées de donner vie à ce que le nombre a de plus vil, histoire de ramener la société française à ses origines latines : panem et circenses (du pain et des jeux, surtout pas une intelligence et une conscience). C’est ainsi que le citoyen, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, reçoit pieusement l’esprit saint du pouvoir en place, en quelques phrases, évangiles laïques formatés. Et soulagé de la sorte, il peut s’endormir dans les draps du nouveau savoir schématique. Avec, en prime, des sondages de toutes sortes venus de toutes parts qui lui apprennent, sans aucun effort de réflexion, ce qu’il doit penser et donc ce qui en découle : ses avis sur tout, ses décisions quotidiennes, son cheminement politique. Son vote « utile ». Mais à qui ? Est-ce cela la démocratie ? Les Grecs anciens, eux, plus précis, le nommait le sophisme. Et c’est à François Mitterrand, grand spécialiste de la rhétorique et du mensonge les yeux dans les yeux, que l’on doit d’avoir lancé cette terrible modification des comportements populaires. Panurge reprenait du service. Alors, en avance sur son temps, le premier président socialiste de la Vème République ? Non bien sûr, mais un bon ouvrier d’une « cause du peuple » devant détruire jusqu’aux fondations d’une société – la nôtre –, dans le cadre d’une « révolution permanente » – la sienne. Il n’y a pire recul que de vieux microbes repeignant les plaies éternelles aux couleurs de leurs rêves.
Dix-sept ans après la dissolution du socialisme dans l’ombre de son Grand Référent, la société française, rongée de l’intérieur par ses mythes humanitaires grand captateurs de l’humanisme des Lumières, inventa subitement une notion tout à fait inédite : l’élection par défaut. C’est-à-dire non point voter pour un candidat aux idées duquel on adhère, mais voter contre celui que l’on ne supporte plus au profit de n’importe qui. Anaphore aidant, c’est ainsi que le premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande, devint président de tous les Français sans l’avoir vraiment cherché. Dès lors, François le Petit, comme l’eût certainement baptisé Victor Hugo, pouvait prendre les commandes d’un Etat pour lequel il n’avait jamais passé de permis de conduire. Et au terme d’une catastrophe écologique sans précédent, la France se trouva en permanente crue politique. Au fil des mois, haletante, elle retenait son souffle pour scruter le Zouave de l’Elysée, le fameux mètre-étalon des grands naufrages nationaux. La monarchie, tant décriée, nous avait offert les Mérovingiens et les Capétiens. Voilà que nous vivions la République magnifique des Batraciens ! Désormais : Mergitur nec fluctuat. Quand le moindre pédalo se transforme en sous-marin, sa gouverne devient une girouette. Déliquescence intellectuelle de la gauche française, incapable de prendre une seule décision en cohérence avec la précédente, à l’image de leur Lider Minimo, seul président de la Vème République à avoir renoncé à briguer un second mandat. Le fond du trou. Le bout des mensonges. Là où la monstrueuse cacophonie ne peut plus revendiquer Mozart dans le triste jeu des chaises musicales, puisque tous les instruments sont désaccordés et qu’il n’y a plus de chef d’orchestre. François Hollande s’interroge, paraît-il, sur la place qu’il occupera dans l’Histoire. Aucun doute à avoir sur ce sujet en ce qui me concerne : ce ne pourra être que celle de Belphégor, le fantôme de l’Elysée. Condamné à errer dans les limbes du Château !
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