« Nous étions moutons, nous sommes devenus chats et qu’il est difficile de constituer un troupeau de chats ! » résumait le communiste parisien Patrick Bessac[1. Rapport au Conseil National du PCF du 13 septembre 2012] quelques mois avant 36e congrès statutaire du PCF qui se tiendra début février à Aubervilliers. En attendant la grand-messe de 2013, au terme de laquelle toutes les instances du parti seront renouvelées, les 100 000 militants communistes à jour de cotisation votaient pour les motions en compétition, une sacrée rupture avec le centralisme démocratique d’oncle Jo ! Sitôt Oscar Niemeyer enterré, les héritiers de Thorez, Marchais et Hue (cherchez l’erreur…) remplissaient les urnes de leurs sections avec des bulletins numérotés de 1 à 4.
Quatre textes d’orientation se disputaient en effet les faveurs des adhérents, avec deux lignes de fracture évidentes : le rapport au Front de Gauche – en clair, à Mélenchon – et à l’Union Européenne. Mais puisqu’on sait depuis Michels que parti rime avec oligarchie, les dés sont évidemment pipés, l’adhésion formelle à la « base commune » rédigée par Pierre Laurent et son équipe étant proportionnelle à son niveau de conformisme idéologique. Clin d’œil appuyé à Apollinaire, le texte majoritaire a recueilli 73.12% des suffrages communistes à l’issue d’une consultation interne dépassant les 54% de participation, preuve que le PCF s’intéresse autant aux idées que l’UMP à la pure rivalité des hommes. Ironie de l’histoire, un parti si longtemps sclérosé par le suivisme et l’allégeance au chef met aujourd’hui en musique un beau débat de fond, dont l’issue jouée d’avance restera néanmoins lettre morte, en dehors de quelques adaptations marginales. Il serait cruel de relever toutes les perles enfilées par l’insipide motion centrale « Rallumer les étoiles », de l’utilisation abusive de l’adjectif citoyen (l’inévitable « révolution citoyenne ») dont se gaussait allègrement un Philippe Muray, au bisounournisme « de la dignité humaine, du vivre ensemble, du respect de la laïcité et de la démocratie » qui tranche avec la déconstruction marxienne de tous ces concepts bourgeois !
Au passage, notons que les critiques les plus acerbes contre la « base commune » majoritaire, proviennent des textes alternatifs 1 et 3, qui proposent tous deux la rupture du Front de Gauche. « Un texte hors du temps, à prétention poétique, multipliant les diversions sociétales et les faux problèmes » lit-on dans l’alternative 3, qui a obtenu l’assentiment de 5.82% des militants en proposant une renaissance orthodoxe d’un PCF dégagé de « la tutelle de sociaux-démocrates qui cachent mal sous les vociférations gauchistes leurs positions réformistes ». Traduction : Méluche, fais tes valises et rentre à Paris !
Armé d’une rhétorique souverainiste que ne renierait pas Nicolas Dupont-Aignan, le texte alternatif 1 préconise carrément un double divorce : avec le Front de Gauche d’un côté, l’Union Européenne de l’autre, loin de l’orientation « altermondialiste » qui est celle du PCF depuis le congrès de Martigues de 2000. Verdict : 5.7% des communistes ont dit oui à ce libelle qui rappelle les manifestes du CERES des années 1970.
Continuons notre décryptage de la prose communiste à l’usage des néophytes. Il y a les inclassables, qui veulent se faire entendre au sein d’un Front de Gauche redynamisé qui n’aurait plus peur de prôner une sortie pure et simple de l’UE (décidément, une obsession de ces satanés souverainistes rouges qui dominent deux motions sur quatre. Mais que fait la police de la pensée ? ). Une taupe bien introduite place du Colonel-Fabien me souffle que le kamarad Jérôme Leroy ne serait pas insensible à « ce texte alternatif 2 » qui proclame fièrement : « Le projet d’une « Europe sociale » sur la base du capitalisme est une chimère » mais tempère aussitôt « Le capitalisme signifie désormais la régression sociale permanente ». Une petite phrase a priori innocente où l’usage de l’adverse « désormais » déboulonne les piliers du communisme de combat : nos alternatifs insinuent-ils que le capitalisme fut vivable ? À lire leur principale revendication économique – « la suppression de la propriété privée des banques et de tous les grands piliers de l’économie »- on se dit que le capitalisme d’Etat suscite encore quelque nostalgie, du planisme gaulliste d’Henri Guaino aux super-étatistes du PCF.
Sur ces hautes considérations, passons à la rubrique matrimoniale. Parce que ces débats sans fin, passionnants au demeurant, n’infléchiront pas la direction de l’esquif Front de Gauche. Le cap de la direction ayant été approuvé à 75%, Pierre Laurent peut maintenant aborder la rive du futur l’esprit occupé par ses petites bisbilles avec Jean-Luc Mélenchon. Ça tangue sérieusement entre l’ancien ministre de Jospin et le fils de l’apparatchik communiste Paul Laurent. À l’approche de la moitié de quinquennat, Méluche se rêve en Premier ministre de substitution d’un Hollande lassé par la social-démocratie, après une probable Berezina aux municipales de 2014. Laurent, fort d’un charisme d’écailleur d’huîtres à la Fête de l’Huma, mise plutôt sur le mouvement social et s’agace du présidentialisme obsessionnel de son impétueux partenaire tout en sachant qu’il lui doit les 11% de la présidentielle. Mélenchon, faute d’un véritable parti à sa disposition, doit s’appuyer sur les forces militantes communistes, non sans lancer quelques scuds parallèles pour concurrencer le PCF : Clémentine Autain, Christian Picquet et autres turbulents alternatifs.
Comme quoi, à gauche, certains mariages arrangés ont au moins autant d’avenir que le « mariage pour tous »…
*Photo : pcf.bourges.
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